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la passe de Kumoylé, et put se rendre compte des difficultés inouïes qu’avaient eu à vaincre les ingénieurs et les pionniers de l’armée. Ces difficultés n’étaient malheureusement pas les seules que cette contrée sauvage allait opposer au corps expéditionnaire. Pendant les cinq jours de marche qui séparent Zoulla de Sénafé, on ne rencontra aucune trace de population, et il fut impossible de trouver la moindre ressource pour les colonnes. Après avoir traversé, pour gagner Kumoylé, la plaine aride qui s’étend au bord de la mer, la route s’engageait dans une profonde vallée de hautes montagnes, au milieu des sinuosités de laquelle un torrent s’est frayé son lit. Souvent assez ouverte et en pente douce, cette vallée se resserrait en plusieurs endroits au milieu de roches granitiques qui ne laissaient entre leurs murailles élevées qu’une gorge large parfois de moins de 5 mètres. En ces endroits, la pente du torrent devient très rapide, et, pendant la saison des pluies, les eaux qui descendent des montagnes s’engouffrent avec une violence irrésistible et atteignent jusqu’à 10 mètres de hauteur.

Le plus remarquable de ces étranglemens avait reçu des Anglais le nom de Devil’s Staircase (l’escalier du diable). C’est bien en effet un des accidens les plus étranges que la nature ait jetés là comme un défi pour arrêter l’homme au seuil d’une mystérieuse contrée. A un détour de la vallée, on se trouve subitement au milieu d’un vaste cirque fermé de tous côtés par des cimes élevées ; au fond, un véritable mur de rochers d’une prodigieuse hauteur laisse couler par une étroite brèche un filet d’eau qui s’élance en bouillonnant. C’est par cette brèche qu’il faut chercher une issue. On s’engage dans une sorte de corridor sinueux, où les rayons du jour n’arrivent que faiblement par quelques fentes, entre les rochers dont les masses surplombent de toutes parts, formant des voûtes naturelles au-dessus du lit du torrent. Jamais sans doute les échos de ces lieux sauvages n’avaient redit des accens humains, et pendant six mois ils allaient retentir chaque jour du bruit des colonnes anglaises. L’impression que cause une pareille scène est vraiment solennelle. La traversée du défilé n’avait pas moins de 4 kilomètres ; on cheminait ainsi pendant une heure par une voie tortueuse, dont chaque détour amenait de nouveaux étonnemens. Tout à coup un rayon de soleil se faisait jour, un coin de ciel bleu apparaissait, et l’œil surpris découvrait sur un petit plateau quelques tentes et des soldats anglais. C’était le bivouac où les troupes de chaque convoi devaient successivement prendre quelques heures de repos avant la marche du lendemain. Là, sur un espace de quelques centaines de mètres, vivait tout un monde de soldats, de serviteurs indiens, d’animaux ; la plus petite place avait été disputée aux rochers pour y accrocher une tente, pour y attacher quelques chevaux. Souvent, en même