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dire, j’aurais mauvaise grâce à vouloir reprocher à M. Colin de représenter un Faust de fantaisie. Il va et vient, se promène au bras de Méphisto, au bras de Marguerite, porte un costume charmant avec plus d’aisance qu’il n’en avait dans les Huguenots, et, toujours convenable, répand sur certains côtés de ce monotone personnage l’éclat sonore d’une voix de ténor qui serait sans reproche, si les qualités du médium répondaient au charme des notes élevées. Tel qu’il est, M. Colin reste encore le meilleur Faust qu’on ait vu à Paris, comme Mlle Mauduit est le meilleur Siebel. À force d’intelligence, la jeune artiste a réussi à faire quelque chose de ce triste rôle, ennuyeux comme une élégie, et quand arrivent les deux romances, la seconde surtout ajoutée pour elle, à la sûreté de la voix, au pathétique de l’accent, on reconnaît la cantatrice de grand répertoire.

Maintenant, abordons Méphisto :

 O Herr, verzelht den rohen Gruss !

J’avoue ne point m’expliquer comment on a pu songer à M. Faure pour ce caractère, auquel ne devaient se prêter ni l’air de son visage ni la nature tout onctueuse de son élocution. Puisqu’on faisait à cette partition les honneurs d’une telle mise en scène, il fallait demander un remaniement absolu. C’était M. Obin qu’il fallait mettre dans Méphisto, en laissant alors M. Faure figurer l’amant de Marguerite. Au lieu de cela, qu’avons-nous ? Un charmant diable rose qu’on dirait échappé de ce sucrier où le pape Benoît XIII enfermait les malins esprits qu’il exorcisait, un diable tout badin, tout rococo, point méchant le moins du monde, pas même goguenard, et qui se bat les flancs pour tâcher de divertir la galerie par ses traits d’esprit. Passe pour les traits d’esprit, s’il y en avait, mais non pour les grimaces. Jouer Méphistophélès en pur Scapin est une idée qui pouvait séduire un Frederick Lemaître, et dont un chanteur aussi médiocrement comédien que M. Faure aurait dû se garder comme du feu. On s’imagine être fort plaisant, on se croit tout permis, et de gentillesse en gentillesse on en arrive à des effets comiques du genre de celui-ci par exemple : lorsque Méphistophélès, au second acte, pénètre chez Marguerite, il salue, et demande à parler à Mme Marthe Schwerdtlein. Rien de plus simple en apparence que cette entrée de jeu. M. Faure ne le voit pas ainsi. Son affaire à lui étant d’être avant tout très spirituel et profondément épigrammatique, voilà qu’il imagine de baragouiner ce nom de Schwerdtlein de la façon la plus grotesque et comme on faisait aux Variétés du temps des Anglaises pour rire. De pareilles plaisanteries sur un théâtre comme l’Opéra ont cet inconvénient d’entretenir chez les étrangers cette idée pitoyable qu’ils ont de notre intelligence à comprendre les choses de leur langue et de leur littérature. Schwerdtlein en Allemagne est un nom fort ordinaire qui, pas plus que chez nous Pascal ou Martin, ne prête au rire. En outre, dans la langue de