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REVUE MUSICALE.

Ceci n’est point à discuter : il y a des noms qui sont marqués d’une sorte de prédestination talmudique. — Ce nom de Faust par exemple, quelle place ne tient-il pas dans l’histoire de l’esprit moderne ? À partir du XVe siècle, de quelque côté que votre curiosité se tourne, vous le trouvez partout. De ces cinq lettres assemblées par le doigt du destin sur son échiquier, des montagnes d’œuvres sont sorties : récits populaires, drames, compilations littéraires et musicales, dessins, gravures et tableaux. Les bibliothèques, les musées, les salles de spectacle, ce nom a tout rempli, à ce point que voilà un héros légendaire qui, si je m’en rapporte au catalogue des choses qu’il a suscitées, a déjà plus occupé le génie humain que n’ont fait les plus authentiques personnages de l’histoire. Ce nom à double sens, il est mystique, et, en même temps qu’il attire la foule par le merveilleux, le pittoresque, il ouvre à l’œil inquiet du penseur les mystérieuses profondeurs où s’agitent tous les grands problèmes de cette vie et de l’autre. « Deux âmes sont en moi qui travaillent incessamment à se séparer l’une de l’autre, l’une âpre au plaisir, à l’amour, se cramponnant à la terre par ses organes, l’autre invinciblement attirée vers les campagnes d’azur où planent les immortels aïeux. » Dirai-je toutes les partitions dramatiques et symphoniques auxquelles cet inépuisable sujet, éternellement repris, élaboré à nouveau, a fourni matière ? Ici encore la nomenclature serait trop longue, et je me contente de citer dans le nombre le Manteau du docteur Faust de Bauërle, le Faust de Julius Voss, celui du prince Radziwill, celui de Mlle Bertin représenté aux Italiens (mars 1831), esquisse vigoureuse tracée par la main d’une jeune femme qui depuis a pu se vouer à la retraite sans renoncer à son art ni se faire oublier. Ajoutons les superbes fragmens de Berlioz, la Damnation de Faust, et la fameuse partition de Spohr, qui régnait depuis vingt-cinq ans sur toutes les scènes d’Allemagne quand parut le Faust de M. Gounod, lequel à son tour semble occuper la place pour un temps, comme ces cercueils des rois de France installés sur le degré de Saint-Denis et n’attendant qu’un nouveau-venu pour descendre à jamais l’escalier. C’est de ce Faust et des détails somptuaires de son emménagement à l’Opéra que nous avons à nous occuper aujourd’hui.

Le directeur actuel de l’Académie impériale paraît avoir cette opinion qu’en matière de libretti ce qu’on a de mieux à faire est de s’adresser aux chefs-d’œuvre, lesquels, étant d’avance connus du monde entier, parlent aussitôt à l’imagination. Administrativement il se peut que l’idée soit bonne, les recettes d’Hamlet l’ont prouvé, celles de Faust vont venir à l’appui de la démonstration ; mais, pour peu qu’on envisage la question