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l’aventure pour l’honneur d’une idée ; le bill qu’il a présenté l’autre jour est bien au contraire une œuvre essentiellement anglaise, marquée du sceau du génie national. Les Anglais ne sont pas comme nous : ils ne reculent pas plus que nous, ils l’ont souvent prouvé, devant les plus grands problèmes ; mais ils ont une manière à eux d’aborder et de résoudre ces problèmes sans rompre avec les traditions, en s’efforçant de ménager tous les intérêts, d’adapter en quelque sorte à leur passé, aux conditions de leur développement historique, le progrès nouveau qu’ils veulent accomplir. Ainsi ils ont fait l’an dernier pour cette réforme électorale qui en définitive a produit un parlement où l’esprit libéral triomphe sans étouffer l’esprit conservateur ; ainsi ils vont faire pour leur constitution ecclésiastique avec la hardiesse circonspecte de leur génie pratique. C’est là précisément le caractère des propositions développées par M. Gladstone devant le parlement.

À vrai dire, c’est là qu’on attendait le chef du nouveau ministère. Comment allait-il résoudre la question sans donner trop beau jeu à ses adversaires ? M. Gladstone s’est tiré de la difficulté en véritable Anglais ; il s’est visiblement proposé un but assez complexe et dans tous les cas essentiellement politique. Il a voulu d’abord, cela est bien clair, accomplir un grand acte de justice à l’égard de l’Irlande en la délivrant du fardeau d’une domination religieuse étrangère ; il a voulu en outre transformer l’église établie sans en faire une église salariée, et sans blesser trop vivement des situations acquises, des intérêts traditionnels. En disposant enfin des biens ecclésiastiques que cette mesure hardie met dans ses mains, il a voulu avant tout en faire profiter l’Irlande. Il y a une première période de dix-huit mois durant laquelle une commission désignée par le parlement est chargée de présider à cette difficile et délicate transition. C’est ce qu’on pourrait appeler la phase de liquidation morale et matérielle. À dater de 1871, la séparation est définitivement accomplie ; les juridictions, les corporations ecclésiastiques, disparaissent, les évêques irlandais cessent de faire partie de la chambre des lords ; en un mot, l’église d’Irlande n’existe plus, au moins comme établissement de l’état : elle n’est plus qu’une communion religieuse semblable à toutes les autres communions, se gouvernant elle-même sous l’empire du droit commun.

Voilà pour le principe et pour la politique. Comment M. Gladstone tranche-t-il la question au point de vue matériel ? C’était là l’écueil évidemment. La propriété de l’église d’Irlande est évaluée aujourd’hui à 16 millions de livres sterling ou 400 millions de francs en capital, et à 7 ou 800 000 livres en revenu ; c’était, il faut en convenir, une église bien rentée. Sur cette somme, une moitié à peu près est consacrée à tout un système de dotations, de compensations, d’indemnités en faveur de la communauté protestante et des bénéficiaires actuels ; le reste, à part un prélèvement destiné à remplacer le donum regium des presby-