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le train chauffé par le député de la Seine ; c’est tout simplement antipathie de natures contraires, antagonisme d’homme spéculatif et d’homme pratique.

Non, ce livre n’est pas l’œuvre d’un politique, et cela pour plusieurs raisons. La première raison, c’est que l’auteur est en vérité trop plein de lui-même. Il a le culte naïf et religieux de sa personnalité. Il se contemple dans Mirabeau et dans Benjamin Constant, il ne voit que lui, il est tout ingénument convaincu que c’est lui qui a gagné M. de Morny au libéralisme dans les dernières années de sa vie, — et il le dit ! Que M. Émile Ollivier soit très honorablement intervenu dans les préliminaires du 19 janvier, cela est certain ; qu’il ait été joué, nullement ; il a été jugé, on a vu qu’il n’y avait rien à faire avec, lui, et dès sa première conversation avec l’empereur, à ce qu’il semble, on ne lui parlait plus de son ministère. Ce livre n’est pas d’un politique pour une autre raison, parce qu’il peut passer jusqu’à un certain point pour une indiscrétion. Un vrai politique ne l’eût jamais écrit ; il se serait souvenu qu’un homme entrant dans les affaires publiques ne travaille pas au succès de ses idées seulement par la parole, qu’il peut y contribuer plus encore peut-être par la confiance qu’il inspire, par la sûreté de ses relations, et notez qu’en disant beaucoup l’auteur ne s’est même pas donné certainement l’avantage de tout dire. Après cela, M. Émile Ollivier restera un esprit honnête, un orateur éloquent, il y a peu de chances pour qu’il devienne premier ministre, et franchement il n’y perdra pas peut-être plus que nous.

Que sera la fin de ce siècle où s’agitent à la fois tant de questions ? Les vivans d’aujourd’hui en décideront. En attendant, ceux qui l’ont personnifié jusqu’ici s’en vont l’un après l’autre, et en ce moment encore le même jour a vu disparaître M. de Lamartine et M. Troplong, deux hommes qui n’ont en vérité rien de commun, rien, si ce n’est de quitter le monde ensemble. Avec M. de Lamartine, c’est assurément une des plus éclatantes gloires françaises qui s’éclipse. On ne peut cependant se défendre d’un serrement de cœur en présence de cette destinée qui aurait pu rester si belle jusqu’au bout, et qui vient de s’achever dans les amertumes. IL en est de l’admiration comme de l’amour : ce qu’on pardonne le moins aux êtres qu’on a aimés ou admirés avec passion, c’est de déchoir. M. de Lamartine a eu le malheur de faire éprouver cette tristesse à ses contemporains. Quoi ! une si éclatante aurore et un si sombre déclin ! Quel homme fut jamais plus comblé ? Il a eu le génie, la fortune, la popularité, l’adoration de ses semblables, et tout cela pour en venir à passer ses dernières années courbé comme un manœuvre sous le fardeau de labeurs ingrats et vulgaires, à demi délaissé d’un monde dont il fut l’idole. Poète, M. de Lamartine le sera toujours ; toujours il restera l’enchanteur d’une génération. Homme politique, ce fut sa faiblesse de jouer avec une insouciance prodigue le sort de son pays, de le