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Ce n’est pas tout : dans ces étranges opérations qui se soldent par un découvert de plus de 465 millions, il y avait nécessairement deux personnages, un emprunteur et un prêteur ; il y avait M. le préfet de la Seine, qui avait dépassé toutes ses facultés en négociant par un subterfuge ingénieux un emprunt qu’il n’avait pas le droit de contracter, et il y avait le Crédit foncier, qui s’était, lui aussi, placé en dehors de ses statuts en prêtant ce qu’il ne pouvait prêter, qui avait même saisi cette bonne occasion de prélever des commissions aussi avantageuses qu’elles étaient illégales. Après avoir abandonné M. le préfet de la Seine, M. le ministre d’état et M. le ministre des finances n’ont pas hésité davantage à désavouer le Crédit foncier ; ils sont allés plus loin, ils se sont engagés, autant qu’ils le pouvaient, à faire rentrer les 17 millions de commission que le Crédit foncier en bonne conscience n’aurait pas dû percevoir. C’était merveilleux ; tout le monde en apparence était d’accord.

Qu’a-t-il manqué à cet élan de sincérité et de bonne volonté ? Un peu de logique et tout simplement une sanction. Tant qu’il ne s’est agi que d’avouer des irrégularités, il n’y a point eu de difficulté. Quand on en est venu aux conséquences naturelles de ces aveux et aux arrangemens nouveaux que proposaient quelques-uns des membres les plus modérés du corps législatif pour échapper à la nécessité de sanctionner des opérations irrégulières et onéreuses, quand on en est venu là, tout a changé. Après avoir fait un pas en avant, le gouvernement en a fait deux en arrière ; il est rentré en campagne pour arrêter au passage les conséquences pourtant fort légitimes qu’on tirait de ses déclarations. Il a eu l’air de croire que, puisqu’il avait fait la confession générale de M. Haussmann et du Crédit foncier, il n’y avait plus rien à faire, si ce n’est à jeter un voile sur le passé et à tout approuver, de sorte que le moment où l’on semblait le plus parfaitement d’accord a été justement celui où l’on ne s’est plus entendu du tout. Le gouvernement a fini par venir à bout des visibles répugnances du corps législatif ; il ne s’est pas moins heurté contre une minorité qui a été de 97 voix à un premier scrutin, et de 69 voix à un second vote.

C’est ce qui fait précisément de cette discussion un véritable drame, et de ce drame parlementaire la scène la plus curieuse n’est peut-être point ce qui s’est passé en public, si, comme on le dit, dans l’intervalle des deux séances, les plus hautes influences se sont employées à ramener les récalcitrans et les timorés en les effrayant de la perspective d’une crise politique. Qu’est-ce que cela prouve d’ailleurs que le nombre des voix ait augmenté ou diminué au scrutin définitif ? Matériellement le gouvernement a son vote, comme il le désirait. L’administration de M. le préfet de la Seine ne reste pas moins sous le coup de ces sévérités auxquelles M. le ministre d’état lui-même s’est associé. Nous ne savons trop ce que pourra dire M. Haussmann dans le sénat, où les affaires de la ville