Page:Revue des Deux Mondes - 1869 - tome 80.djvu/518

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

raître dire à tout un continent, à une multitude d’intérêts alarmés : « De quoi vous mêlez-vous ? tenez-vous tranquilles, laissez-nous prendre notre temps, laissez-nous attendre le moment favorable. Cela peut durer des années, patientez et ne nous en demandez pas davantage, car nous n’avons rien à vous répondre. » Il y a peu de jours, un membre du parlement fédéral de l’Allemagne du nord demandait à M. de Bismarck pourquoi il avait précipité la réunion du reichstag. « Vous êtes bien curieux, » répliquait d’un ton goguenard le ministre prussien. Voilà qui est clair. Autrefois, quand la politique était une affaire d’initiés, où le public n’avait aucune part, c’était bon de se retrancher dans ces réserves et ce silence. Aujourd’hui, ce n’est plus ainsi ; la politique est le secret et l’affaire de tout le monde. L’opinion est une complice nécessaire, une alliée exigeante, qui devient d’autant plus difficile qu’on lui mesure plus étroitement son droit, et qui se venge quelquefois d’avoir été dédaignée ou négligée. C’est elle qui a toujours le dernier mot, a dit l’empereur avec une haute raison il y a quelque quinze ans. Encore faut-il qu’elle sache où elle en est, où on la conduit.

Et de même dans la politique intérieure, que veut-on ? On ne veut pas retourner en arrière. Le gouvernement, nous osons le dire, s’est coupé la retraite ; il n’a aujourd’hui ni le pouvoir ni la volonté de revenir sur ses pas. L’empereur l’a dit à l’ouverture de la session législative, et M. Rouher a renouvelé les déclarations impériales ; mais alors pourquoi s’envelopper d’apparences contradictoires ? Pourquoi s’arrêter à chaque pas et avoir l’air de ne céder qu’à contre-cœur, sous la pression des choses ? Pourquoi paraître flotter sans cesse entre les concessions et les rétractations ? C’est s’exposer simplement à entretenir dans les esprits l’incertitude et l’excitation, à réveiller tous les doutes à l’instant même où on semble faire un grand effort de bonne volonté pour ranimer la confiance publique. On vient de le voir par cette discussion des affaires de la ville de Paris qui s’est déroulée pendant quelques jours au sein du corps législatif. Pendant longtemps, le gouvernement a tenu le voile baissé sur ces affaires de la ville de Paris ; il a commencé par défendre ces opérations qui, même avant d’être entièrement connues, semblaient déjà fort étonnantes. L’heure est venue cependant où, à la lumière d’une discussion pressante, il n’y a plus eu moyen de prolonger cette fiction de la parfaite légalité de l’administration parisienne, et c’est alors que M. le ministre d’état, opérant ce qu’on appelle en langage militaire un changement de front devant l’ennemi, s’est hâté fort habilement de prendre cette attitude de courageuse sincérité dont nous n’avons pas hésité, pour notre part, à lui faire honneur. M. Rouher est passé pour un moment à l’opposition ; il a fait la confession générale de M. le préfet de la Seine plus que celui-ci ne l’eût désiré peut-être. Les irrégularités commises à l’hôtel de ville, il les a énumérées et caractérisées de façon à décourager les censeurs les plus sévères de M. Haussmann.