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M. Nigra aille à Florence, où il a des affaires, et que le duc de Gramont, ambassadeur de France en Autriche, vienne à Paris pour la même cause ? Pourquoi s’étonner que M. de Beyens, ministre de Belgique parmi nous, éprouve le besoin de se rendre à Bruxelles, et que M. de La Guéronnière, ministre de France en Belgique, accoure au chevet de M. de Lamartine expirant ? Si l’empereur d’Autriche, allant en Croatie, se rapproche de la frontière italienne, et si le roi Victor-Emmanuel lui envoie un de ses aides de camp chargé peut-être de préparer une entrevue des deux souverains, est-ce là ce qui peut passer pour extraordinaire ? Si enfin M. d’Usedom quitte l’Italie, où il a représenté la Prusse depuis quelques années, n’est-ce pas tout simplement la suite de froissemens personnels produits par la divulgation de cette fameuse dépêche de 1866 qui pressait le général La Marmora d’aller guerroyer en Hongrie ? — Assurément tout cela est possible, tout cela est naturel. Nous ne trouvons pas étonnant que les diplomates aient des affaires de famille ou des raisons personnelles de quitter leur poste, et que deux souverains qui ne se sont vus depuis longtemps qu’en ennemis sur le même champ de bataille éprouvent le désir de se rencontrer plus amicalement. Il n’est pas moins curieux que tous ces faits se produisent à la fois, et qu’ils coïncident avec un ensemble de choses qu’on spectateur désintéressé, le ministre des affaires étrangères de Suède, caractérisait ces jours derniers en disant : « Malgré les assurances pacifiques qui émanent des grandes puissances, la situation générale est inquiétante et tout à fait incertaine. »

À tout prendre, il y a sans doute, selon l’habitude, quelque exagération dans ce qu’on dit, et d’abord on pourrait écarter cet incident qui a un moment aigri les relations de la France et de la Belgique. L’examen des intérêts économiques atteints par la loi belge sur les chemins de fer est remis aujourd’hui à une commission mixte, et le cabinet de Bruxelles est animé, dit-on, des intentions les plus conciliantes. Malheureusement, quand on écarterait un incident, la situation de l’Europe ne resterait pas moins « tout à fait incertaine, » selon le mot du ministre suédois, M. de Wachtmeister. Rien n’est changé, il est vrai, dans les rapports de la France et de la Prusse ; oui, rien n’est changé, — à une condition pourtant qu’on ne cache pas, c’est que la Prusse s’arrêtera dans son expansion, et ne passera pas le Mein. Or n’y a-t-il pas bien des manières de passer le Mein, et tout n’est-il pis livré par cela même à une interprétation que chacun est libre de définir selon sa volonté ou son intérêt du moment ? D’autre part, on commence à dire aujourd’hui que la France rappellera ses troupes avant l’ouverture du concile qui doit se réunir à Rome, et il est bien certain qu’il serait assez difficile de laisser nos soldats monter la garde à la porte d’une assemblée où seront consacrées sans doute les doctrines qui sont exposées dans une lettre adressée par le pape à M. l’archevêque de Paris et publiée récemment par M. Émile Ollivier. Le