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cette nature conseille aussi à la longue, je le crois, les défauts qui en sont le revers, la lenteur, l’indolence et la mollesse. Tous ces traits de caractère se réunissent synthétiquement en un seul, l’indépendance, sentiment qui est nettement marqué dans la disposition de ces villages qui se composent d’habitations isolées, et que l’on rencontre comme égrenés sur le polder. Chacune de ces gentilles petites maisons, qui sont construites contre terre comme si elles se courbaient pour éviter les coups de vent qui passent sur la plaine, se tient sur son quant à soi, à l’écart de sa voisine, et non fraternellement unie à elle comme les maisons des villages de nos pays. Les animaux eux-mêmes semblent ressentir l’influence morale de cette nature, et obéir à l’isolement et au recueillement qu’elle conseille. Le troupeau est essaimé sur le polder comme le village lui-même; les animaux paissent non par groupes et par bandes, par petits comités d’amis, comme dans nos prairies, comme dans les autres provinces hollandaises même, mais volontiers isolés; on dirait qu’aucune de ces bêtes n’a de camarade dans l’étable. Est-ce un effet du hasard? Elles m’ont aussi semblé silencieuses; au moins pendant mon excursion dans le Nord-Hollande n’ai-je entendu ni un mugissement ni un bêlement; les animaux de nos contrées sont plus loquaces, et ne manquent pas d’exprimer leur plaisir, leur crainte ou leur colère au moindre bruit qu’ils entendent, au moindre promeneur qu’ils aperçoivent. Est-ce une fantaisie de ma part? Cela est bien possible; mais comment donc les bêtes ne ressentiraient-elles pas dans une certaine mesure les mêmes influences que les hommes, et pourquoi, si la nature conseille aux bipèdes humains la taciturnité et l’isolement, ne les conseillerait-elle pas aussi aux animaux, qui lui sont en toutes choses beaucoup plus dociles? Les animaux n’ont pas pour lutter contre l’influence de la nature ces ressources morales dont l’homme se vante d’être armé : si donc, en dépit de ces ressources, l’habitant du nord est moins sociable que celui du midi, comment les bêtes hollandaises seraient-elles aussi sociables que celles de nos campagnes de France?

Nous pouvons définir en deux mots le caractère général de ce paysage : tout y est couleur, rien n’y est forme. De là sa douceur et sa suavité, de là aussi une certaine mollesse et une véritable monotonie; rien qui arrête le regard et l’empêche d’errer vaguement sur la verte plaine, rien qui donne un sursaut à l’imagination et l’arrache au bercement par lequel cette nature l’endort lentement en lui présentant toujours le même aspect et en lui chantant toujours le même lied. De loin en loin, quelques rares touffes d’arbres, plus fréquemment des arbres mélancoliquement isolés, et qui ont l’air d’avoir, eux aussi, le sentiment de l’indépendance. Toujours