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visage d’enfant sans vivacité, mais qui à l’occasion pourrait être boudeur et morose. Nous apprendrons aux très rares lecteurs qui pourraient être curieux d’un tel détail sur un prince si loin de nous, qu’à cet âge de cinq ou six ans Edouard avait beaucoup des traits et du visage rond de son père, tandis qu’en grandissant il prit de la ressemblance avec sa revêche mère au menton pointu. Jeanne Seymour, dont Holbein, historiographe par le pinceau de la cour d’Angleterre, a fait aussi le portrait, qui se voit aujourd’hui au musée de La Haye, juste au-dessous de la bourgeoise suisse. Visage maigre, traits allongés et pointus, expression froide, regard hautain, mais sans morgue, tant la hauteur semble l’habitude d’âme de cette personne, très grand air, au demeurant physionomie sèche et peu sympathique, telle est la reine Jeanne Seymour, troisième femme de Henri VIII et mère de son seul rejeton mâle, lequel ne valut jamais, soit dit en passant, pour la vigueur virile et la trempe du caractère, ses deux rejetons féminins, Marie la sanglante et Elisabeth, deux hommes véritables.

J’ai dit il y a un instant qu’il m’était arrivé de douter parfois que Holbein eût du génie. C’est qu’en effet Holbein, très grand peintre de portraits, devient inférieur dès que le modèle vivant ne pose plus devant lui, et qu’il lui faut composer une scène avec ses propres ressources et rendre des sentimens pour son compte personnel. Tous les guides du voyageur et tous les livrets des musées de l’Europe vous apprendront qu’il existe à Bâle un grand tableau d’autel divisé en huit compartimens, autrement dit en huit petits tableaux, représentant la Passion de Notre-Seigneur, et presque tous ajouteront que ce grand tableau, peint sur bois et divisé en petits carrés qui le font ressembler à une gaufre, passe généralement pour le chef-d’œuvre d’Holbein. Ce tableau eut même à son époque tant de réputation que l’empereur Maximilien en offrit, paraît-il, la somme incroyable de 35,000 florins. Cela prouve non pas que le tableau soit excellent, mais que Maximilien, personnage dont la parfaite noblesse ne fut pas sans bizarrerie, prince qui fut à beaucoup d’égards un don Quichotte couronné, esprit rétrospectif et à tournure archaïque, avait plutôt l’amour du gothique que le sentiment de la beauté. En effet, dans ce tableau, — œuvre d’ailleurs de la jeunesse d’Holbein, — que je me permets de trouver très laid, le gothique le plus gauche du plus gauche moyen âge se mêle à un sentiment aussi nouveau qu’audacieux, mais incomplètement et surtout hideusement exprimé. L’inspiration religieuse est la même que celle d’Albert Dürer; c’est cette interprétation radicale et démocratique du christianisme qui est si navrante chez le maître de Nuremberg, cette interprétation à laquelle un siècle et demi plus tard Rembrandt devait donner sa forme la plus nette et la plus voisine de la grandeur. De