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qui ne l’ont pas vue est chose impossible. C’est dans cet art de rendre le trait fondamental d’un caractère que consiste le génie d’Holbein comme peintre de portraits, génie tout philosophique et tout allemand, comme on le voit, puisque pour le définir il m’a fallu, empruntant un mot au vocabulaire de la philosophie, dire qu’Holbein se distinguait de tous ses émules en ce qu’il avait peint surtout le permanent de ses modèles.

En dehors de ce mérite éminent, Holbein avait-il du génie ? Quelquefois je me suis surpris à en douter ; mais il est vrai que la qualité que nous venons d’indiquer est d’ordre si rare qu’on peut la tenir pour du génie et n’en pas exiger d’autre. En tout cas, ce dont je suis sûr, c’est qu’il avait une maîtresse main, et que jamais homme n’apprit son métier avec plus de conscience ; j’en prends à témoin les quatre-vingts dessins qui se voient au musée de Bâle. Un critique d’art distingué, M. Charles Clément, rendait compte récemment d’une publication dont l’auteur a eu l’excellente idée de substituer de beaux dessins d’après les maîtres aux éternels modèles que les professeurs donnent à copier à leurs élèves, et s’étonnait du grand nombre de dessins d’après Holbein que contient, paraît-il, cette publication. Il faisait observer qu’il était surprenant qu’Holbein, malgré son mérite, fournît plus d’échantillons que les plus grands maîtres. C’est qu’il s’agit ici non de génie, mais de science du métier, et que l’auteur de ce recueil, lorsqu’il a cherché des modèles irréprochables qu’il pût mettre sous les yeux des élèves, en a trouvé en plus grande abondance dans Holbein que chez les autres peintres. Les quatre-vingts dessins de Bâle sont d’une précision rigoureuse qui atteste la profonde science technique du maître. Il y en a de toute sorte, têtes d’étude, esquisses, portraits, dessins d’arabesques et d’ornemens faits sur commande pour des édifices publics ou des maisons de particuliers, car Holbein, comme tous les grands artistes de cette époque, ne croyait pas se rabaisser en consacrant son temps à des besognes relevant du métier, et la qualification d’artiste se confondait modestement dans son esprit avec celle d’artisan. Tous sont remarquables par la sûreté de main qu’ils révèlent ; pas un coup de crayon n’est resté inachevé, pas un trait n’a été laissé négligemment à l’état d’indication. Parmi ces dessins, il en est plusieurs de fort beaux ; mais il en est deux qu’il faut plus particulièrement citer : le portrait désigné sous le nom du Jeune homme au grand chapeau, page qu’on peut présenter en toute confiance, tant pour la beauté des traits du modèle que pour la pureté correcte, comme un type de dessin classique. Le second, qui est un chef-d’œuvre, possède une importance historique ; c’est un portrait du petit prince Édouard, fils de Henri VIII, celui qui fut Édouard VI, à l’âge de cinq ou six ans.