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à la gentillesse plus qu’à la beauté véritable, qui se rencontre souvent dans les peintures de ce vieux maître, et flanqué de deux portraits d’hommes d’Albert Dürer d’une conscience admirable; ainsi l’œil embrasse à la fois quatre chefs-d’œuvre. Ces deux portraits d’Albert Dürer méritent une mention spéciale; l’un est celui d’un vieillard dont il est impossible de spécifier l’âge, ni de nommer le sexe, tant il est vieux, tant son nez et son menton, qui se cherchent et sont près de se rejoindre, lui donnent l’aspect d’une vieille femme. Devant ce portrait, l’imagination remonte d’emblée le cours des âges. Grands dieux ! mais c’est un revenant du temps de Sigismond; ce contemporain de Luther a vu certainement brûler Jean Huss et se souvient du concile de Constance. L’autre portrait est celui d’un homme d’âge moyen sur lequel le fardeau de la vie a l’air d’avoir lourdement pesé; c’est la figure la plus fatiguée que je connaisse, même en comptant celle du Caraffa qui fut le septième ou le huitième général de l’ordre des jésuites, curieux visage sur lequel la finesse napolitaine se présente comme terrassée sous la torpeur produite par l’expérience de la vie. Ainsi encadrée des deux portraits d’hommes d’Albert Dürer, la bourgeoise suisse d’Holbein a l’air d’être placée entre son mari et son grand-père. Ce sont en effet trois portraits de même famille, tant par une certaine parenté d’âme et de talent entre Holbein et Albert Dürer, tous deux adorateurs passionnés de la vérité, que par la ressemblance plus étroite encore de la race et des sentimens, qui sont visiblement communs entre la bourgeoise suisse d’Holbein et les deux Allemands d’Albert Dürer.

Dans le portrait de cette bourgeoise suisse se lit le principal caractère d’Holbein, celui qui fait de lui un véritable représentant des pays de race germanique et leur artiste le plus sérieux à l’époque de la réforme, après Albert Dürer toutefois. Ce caractère, c’est l’indifférence à la beauté. Pour faire un portrait dont le souvenir reste dans la mémoire des contemplateurs, Holbein n’a jamais eu besoin de beauté, il lui a suffi de la vérité. Cette bourgeoise, par exemple, qui fait en ce moment l’objet de notre admiration, posant devant un artiste ordinaire, aurait fourni certainement un des plus laids modèles qu’on pût voir. Le contour du visage est rond et sans grâce, les traits sont petits, courts, ramassés; la chair, visiblement malsaine, parle de rhumatismes, de sang apte à la décomposition. Le seul détail physique réellement beau de ce visage, c’est la peau, qui est d’une blancheur remarquable et surtout d’une étonnante finesse. Cette figure n’en reste pas moins à jamais gravée dans le souvenir. Peu de temps après mon séjour en Hollande, j’eus l’occasion de traverser Bâie, et je ne manquai pas, ainsi qu’on peut le penser, d’aller visiter le musée de cette ville, où se trouvent