Page:Revue des Deux Mondes - 1869 - tome 80.djvu/469

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de l’ignorant naïf ne serait pas sans quelque vérité, sinon à l’égard du prince dont ces allégories célèbrent les exploits, au moins à l’égard du temps où il vécut, car, en regardant ces peintures et surtout la composition gigantesque, embrouillée et presque monstrueuse de Jordaens qui orne le fond de la salle, je ne pus m’empêcher de penser que par cette œuvre compliquée le peintre anversois avait involontairement donné une fort exacte représentation du gigantesque gâchis dans lequel la paix de Westphalie trouva l’Europe. Comme emblème des exploits de Henri-Frédéric, — dont le principal, par parenthèse, fut de ruiner la ville natale du peintre, — la composition de Jordaens est inexacte et peu claire; mais comme emblème de ce qu’elle n’exprime pas, c’est-à-dire du pêle-mêle de l’Europe au sortir de la guerre de trente ans, elle est aussi lumineuse et aussi éloquente que possible. Quant à la seconde salle, la salle chinoise, le mobilier, entièrement exotique, est probablement ce qui en Europe donne l’idée la plus juste et la plus haute de ce qu’est le luxe chez les grands de ces sociétés de l’extrême Orient. Ah! voilà des gens qui s’entendent à l’art d’orner un appartement, ces Chinois et ces Japonais; élevé à cette hauteur, cet art devient presque moral et se confond à peu près avec la sagesse, car que nous recommandent toute philosophie et toute religion, sinon d’entretenir l’âme dans un état d’allégresse qui lui conserve sa lumière et sa chaleur? Comment les monstres du spleen et du découragement pourraient-ils s’introduire dans un appartement rempli de ces autres monstres, enfans du caprice des artistes chinois et japonais, parmi ces vases, ces porcelaines, ces coffrets, qui distraient et morcèlent l’attention, et, appelant à chaque minute l’âme en dehors, l’empêchent de se refouler sur elle-même? Comment les pensées tristes entreraient-elles dans l’esprit devant ces tentures et ces rideaux en soie blanche, ramages de fleurs et animés d’oiseaux? Oh! que tous nos velours, nos brocarts, nos damas les plus splendides, paraissent lourds, moroses et ennuyeux quand on a vu de telles tentures! Cependant toutes les choses ont leur revers, et je ne puis m’empêcher de penser que vivre perpétuellement au milieu d’une abondance de semblables amusantes merveilles doit à la longue remplir l’âme d’enfantillage, la rendre incapable de tout sérieux et de toute grandeur, et qui peut dire si ce n’est pas là une des causes de cette puérilité qui nous frappe chez les sociétés de l’extrême Orient?

En dehors de ce charme des lieux, La Haye possède un attrait moral très particulier, qui en fait un des séjours les plus désirables de l’Europe. La Haye ne contient pas de populace, et ce n’est certes jamais pour cette ville que Voltaire prononça son imprécation célèbre, adieu canards, canaux, canaille, d’abord parce