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Notre paysagiste Corot a-t-il jamais vu ce bois ? S’il l’a vu, il doit en être fou d’enthousiasme ; s’il ne le connaît pas, il faut avouer qu’il l’a presque deviné, car rien ne ressemble davantage, surtout aux heures du matin et du crépuscule, qui sont les heures favorites où il aime à épier la nature, à ces paysages verts et feuillus, chargés de vapeurs blanches ou grises, manteau de brouillard dont la mollesse dissimule la solidité des arbres et des terrains, où il place de préférence ses figures d’un caractère incertain, femmes, fées, visions, sorties d’une traînée de brume.

Ce parc a son Trianon, un Trianon d’aspect tout rustique. La pieuse veuve de Henri-Frédéric, qui éleva cette demeure modeste, se rapprocha beaucoup plus de la nature sans le vouloir ni le savoir que ne le fit en le voulant notre reine Marie-Antoinette avec son petit Trianon ; personne certes ne s’étonnerait de voir sortir une laitière ou une fermière vraie ou fausse de cette résidence qui me rappela le titre d’un roman enfantin, la Maisonnette dans les bois, titre qui décrit si exactement son caractère que c’est le nom même sous lequel les Hollandais la désignent. C’est la marque d’un vrai bon goût, ennemi des cacophonies et des discordances, d’avoir évité le contraste déplaisant qu’un extérieur prétentieux de palais aurait fait avec ce parc si campagnard. Cette petite maison ressemble à la monarchie dans les pays germaniques, pleine de bonhomie à l’extérieur, simple d’apparence comme elle ne l’a jamais été dans nos pays latins, mais singulièrement royale à l’intérieur, et plus sûre intrinsèquement de ses prérogatives que ne le fut jamais le plus fier de nos rois magnifiques. La modestie extérieure de cette maison du Bois recouvre les souvenirs les plus fiers et la somptuosité la plus rare. Dans cette suite de belles salles, deux surtout arrêtent plus particulièrement la curiosité. La première est la salle d’Orange, avec son plafond en coupole et ses peintures de van Thulden, amusant trompe-l’œil qui donne pendant quelques minutes l’illusion de Rubens, espèce de chapelle appartenant à ce Hero-Worship et à cette religion du Sinto que les races nobles ont eue de tout temps pour elles-mêmes. Cette chapelle sans autel est le logement d’une âme, le sanctuaire d’une mémoire, celle du prince Henri-Frédéric, frère du terrible Maurice, troisième stathouder des provinces unies et triomphateur définitif de l’Espagne. Avec son souvenir, sa veuve voulut conserver encore un reflet de l’éclat qu’il jeta dans le monde, et ce reflet coloré, ce sont les peintures de Jordaens et de van Thulden qui recouvrent les parois de la salle. Ces peintures allégoriques, éloquentes seulement pour celui qui sait quel fut le prince, ne doivent certes évoquer dans l’esprit de l’ignorant que l’idée d’une grandeur vague et confuse ; cependant cette impression