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ils ont pullulé dans les villes d’Orient, comment en Amérique ils ont enfanté des hordes qui, redevenues entièrement sauvages, ont ajouté une bête féroce de plus à la faune du Nouveau-Monde. Il est impossible d’admettre, à moins de preuves incontestables qui manquent, que les choses se soient passées autrement partout ailleurs. Évidemment, partout où l’homme a conduit le chien, celui-ci aura tendu à enfanter des races marronnes toutes les fois qu’il aura trouvé à vivre loin de son maître. Or l’homme a amené partout le chien avec lui. On ne peut guère en douter en voyant les Polynésiens eux-mêmes le transporter jusqu’à la Nouvelle-Zélande. Par conséquent, dans les pays où les conditions d’existence l’ont permis, il a dû inévitablement se développer des chiens marrons. L’Asie méridionale avec ses jungles et ses vastes espaces à peine habités par des tribus demi-sauvages offrait à ce point de vue les conditions les plus favorables, et c’est une des contrées où le fait paraît s’être produit le plus fréquemment. Quant à l’Amérique du Sud, quelle raison aurait-on pour admettre que ce qui s’est passé avec les chiens des Européens n’a pu se produire avec les chiens des indigènes ? À côté des chiens domestiqués par les Mexicains, les Péruviens, à côté de ceux qui suivaient les tribus de l’Orénoque, de l’Amazone, du Rio de la Plata, nous devons certainement trouver les races marronnes correspondantes.

Or, en recouvrant leur liberté, les animaux reprennent, on le sait, la plupart des caractères propres aux types sauvages ; mais ils n’en conservent pas moins en partie l’empreinte particulière qu’ils avaient reçue de l’homme et qui distinguait leur race domestique. Les observations de MM. Roulin et Martin de Moussy, comparées aux descriptions malheureusement trop rares de quelques voyageurs, ne peuvent laisser de doute à cet égard. Il résulte de là qu’en disséminant le chien sur toute la surface du globe l’homme a semé pour ainsi dire en même temps des races marronnes forcément plus ou moins différentes les unes des autres. Ce sont les descendans d’individus soumis jadis à l’homme qui forment ces bandes de chiens sauvages souvent assez semblables aux races domestiques des mêmes contrées. Pour voir dans ces dernières les filles et non les mères des races ambiguës vivant en liberté, il faut oublier tout ce qui s’est passé en Amérique, ce qui se passe au milieu de nous et jusque dans Paris. Sans doute on ne peut le plus souvent invoquer à l’appui de l’opinion que je défends d’autre argument que l’analogie ; mais tout au moins m’est-il permis de dire qu’elle milite tout entière en ma faveur.

Voici pourtant un exemple bien propre à montrer comment on a pris pour une espèce sauvage une simple race de chiens marrons et abandonnés probablement depuis assez peu de temps. La plupart