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ce que l’expérience et l’observation nous ont appris sur ces sujets difficiles. Ce sont eux qui nous serviront de guides pour la suite de cette discussion.


III.


Dans les théories qui reposent sur l’idée d’une transformation lente, toute espèce nouvelle est représentée d’abord par un individu possédant quelque caractère qui le distingue du type spécifique antérieur. Ce caractère, à peine sensible d’abord, s’affermit et s’accuse de génération en génération. Lamarck répète bien souvent que ce procédé de transformation est seul en harmonie avec les lois de la nature, et Darwin n’insiste pas moins pour montrer qu’il est la conséquence forcée de la sélection. En d’autres termes, ils admettent l’un et l’autre que toute espèce a son origine dans une variété, et passe par l’état de race avant de s’isoler, de prendre rang dans le tableau général des êtres. De là à considérer la race et l’espèce comme deux choses identiques, ou peu s’en faut, il n’y a qu’un pas. Aussi Lamarck est-il allé jusqu’à penser que les espèces ne sont en réalité que des races, et emploie-t-il même de préférence ce second terme dans ses ouvrages dogmatiques. Darwin admet que les races ne sont que des espèces en voie de formation, et il conclut à chaque instant des unes aux autres.

Or cette assimilation entraîne une autre conséquence facile à prévoir. J’ai montré plus haut comment la notion de l’espèce relève à la fois de la morphologie et de la physiologie, combien la forme est variable dans certains cas sans que l’unité spécifique puisse être mise en discussion. J’ai rappelé comment au contraire les races se caractérisaient par leurs formes mêmes. Du moment où on substitue l’idée de race à celle d’espèce, du moment où l’on assimile ces deux choses, la morphologie doit nécessairement faire oublier, ou tout au moins placer à un rang très subordonné les considérations physiologiques. Cette tendance se retrouve en effet dans tous les écrits transformistes. J’en ai cité récemment un exemple emprunté à Darwin, j’en trouverais bien d’autres chez lui-même et chez Lamarck ; mais nulle part peut-être cette influence de la doctrine fondamentale n’est aussi accusée que dans un des plus beaux travaux de M. Naudin, dans celui-là même où, en résumant ses consciencieuses recherches, il fournit aux doctrines pour lesquelles je combats quelques-uns de leurs plus sérieux argumens. Après avoir rappelé, en le confirmant, ce qu’il avait dit de la loi de retour, il n’en arrive pas moins à déclarer que « l’espèce est avant tout une collection d’individus semblables, » et que « la délimitation des es-