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de M. Naudin sur les daturas, une foule d’exemples pareils que l’on trouverait dans les écrits du même expérimentateur, dans ceux de M. Lecoq et de leurs émules, conduisent à une conséquence qu’il me semble difficile de repousser, c’est que le retour aux espèces primitivement croisées est complet. On ne peut évidemment ici invoquer la dilution de l’un des deux sangs ; on ne peut assimiler ce qui se passe chez ces demi-sang, chez ces quarterons, à la transformation progressive produite par des croisemens successifs, opérés toujours dans le même sens, et qui conduiraient de génération en génération d’un type à l’autre, expérience qu’on a aussi faite bien souvent. Dans ce dernier cas, pourrait-on dire, la prédominance de l’un des deux sangs en arrive à masquer l’existence de l’autre, bien que celui-ci persiste. Il n’y a rien de pareil dans ces datura stramonium, dans ces lapins, fils d’hybrides, qui reproduisent pourtant en totalité le type d’une seule des espèces croisées. La brusquerie du phénomène nous en révèle la nature. Il est évident qu’il y a ici soit rejet et expulsion, soit absorption ou destruction, en tout cas annihilation par un procédé physiologique quelconque de l’un des deux sangs dont l’association anormale donnait à l’hybride ses caractères mixtes.

La physiologie, venant ici à l’appui de la morphologie, confirme de tout point cette conclusion, et montre tout ce qu’il y a de radical dans ce retour aux types. On ne connaît pas un seul cas d’atavisme par hybridité. L’observation chez les animaux est pourtant déjà ancienne. Les Romains savaient produire des chabins, et distinguaient par des noms spéciaux le produit du croisement selon que le père ou la mère étaient empruntés à l’espèce ovine ou à l’espèce caprine[1] ; mais, en Italie comme dans le midi de la France, la loi de retour les a ramenés entièrement aux deux espèces primitives, et les effets du croisement ont totalement disparu. Jamais on n’a parlé d’agneaux nés d’une chèvre et d’un bouc, pas plus que d’un chevreau fils d’un bélier et d’une brebis. Certes un pareil fait, fût-il même fort rare, n’eût pas manqué d’éveiller l’attention, et on peut dire qu’ici l’observation négative équivaut à une affirmation. Quant aux végétaux, l’expérience directe a répondu dans le même sens. « J’ai plusieurs fois semé les graines des hybrides entièrement revenus aux types spécifiques, m’écrivait à ce sujet M. Naudin, et

  1. Isidore Geoffroy cite les deux vers suivans empruntés à Eugenius, auteur du VIIe siècle, qui a écrit une très curieuse pièce de vers : De ambigenis.

    Titirus ex ovibus oritur hircoque parente,
    Musmonem capra verveco semine gignit.


    (Histoire naturelle générale des règnes organiques, t. III, ch. x, 5.)