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marquables en étudiant quelques-unes de nos plantes les plus communes, la primevère, le lin, les plantains, la salicaire. Chez ces végétaux, les graines fournies par une seule et même plante-mère donnent naissance à des plantes sœurs dont les organes floraux essentiels, le pistil et les étamines, diffèrent d’une manière très marquée. Certaines fleurs d’orchidées poussent sur le même pied, et sont cependant si diverses d’aspect qu’on les avait regardées comme caractérisant deux genres distincts tant qu’on ne les avait vues que sur des plantes séparées[1]. Enfin des phénomènes bien plus complexes ont été découverts chez les champignons parasites par M. Tolasne et les botanistes entrés après lui dans cette nouvelle voie de recherches. La généagenèse et le polymorphisme se compliquent ici d’une façon en apparence toute nouvelle. Ils se rattachent à des migrations et à des changemens de sol et de milieu d’une manière qui a dû surprendre les premiers observateurs ; cependant ils ne présentent au fond rien de plus étrange que les phénomènes de la reproduction des vers intestinaux. Or ces végétaux qu’on a pu attribuer à des genres, parfois à des familles taxonomiques différentes, ces animaux tellement dissemblables qu’on les a longtemps placés dans des classes distinctes, n’en doivent pas moins être mis à côté les uns des autres et avec leurs parens dans la même familles physiologique. Celle-ci embrasse donc toutes les générations médiates, parfois nombreuses, toutes les formes d’évolution si disparates qu’enfantent la généagenèse et le polymorphisme. Dans le monde étrange où règnent ces deux phénomènes, la ressemblance disparaît du père et de la mère aux enfans, du frère au frère, lorsqu’ils apparaissent à des époques différentes du cycle ; elle n’existe qu’entre les descendans plus éloignés et les collatéraux, et toujours dans des familles physiologiques différentes. Au point de vue de l’espèce, celles-ci apparaissent comme un élément fondamental dont il faut tenir le plus grand compte. Voilà pourquoi, sans m’écarter des conceptions de tant d’illustres prédécesseurs, j’ai cru devoir introduire le terme de famille dans la définition que j’ai proposée ici même. Pour moi, l’espèce est « l’ensemble des individus plus ou moins semblables entre eux qui sont descendus ou qui peuvent être regardés comme descendus d’une paire primitive unique par une succession ininterrompue de familles[2]. »

En atténuant dans cette formule l’idée de ressemblance, je ne songeais pas seulement aux phénomènes que je viens de rappeler.

  1. De la variation des animaux et des plantes, t II, chap. xix, et Mémoire sur l’hétéromorphisme des fleurs (Annales des sciences naturelles. — Botanique, 4° série, t. XIX).
  2. Revue des Deux Mondes, 15 décembre 1860.