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comme on aime sa langue, et tant que les frontières n’auront pas disparu, que le monde ne sera pas confondu dans un cosmopolitisme universel, il faut s’attendre à des jalousies d’influence, à ce que le point de vue anglais ou allemand ne soit pas le point de vue français. Il ne faudrait pourtant pas exagérer ce sentiment et l’appliquer là où il n’a que faire. Dans l’espèce, à moins de bouleverser tous les systèmes monétaires, on devrait se rapprocher plus ou moins d’un système en vigueur. Nous avons proposé la pièce de 10 francs parce que c’est elle qui cadre le mieux avec les usages établis et qui présente le plus d’avantages. On dit qu’elle est d’origine française. L’assertion n’est pas absolument exacte, nous n’avons pas d’unité de ce chiffre, il nous faudrait nous-mêmes consacrer une innovation. Et puis l’origine française est devenue celle de tout le groupe qui a adhéré à la convention de 1865, c’est-à-dire de 100 millions d’individus. C’est bien quelque chose pour atténuer les susceptibilités particulières. On peut hésiter à adopter la monnaie d’un peuple, on a moins de répugnance à adopter celle de plusieurs. On pourrait en outre trouver une transaction qui changerait en quelque sorte l’origine française ou latine de la pièce de 10 francs. Pourquoi ne l’appellerait-on pas une victoria, afin de plaire à nos voisins et de rendre hommage à leur souveraine? Si cette appellation excitait d’autres ombrages, on chercherait sur un terrain neutre un nom bien connu et sans caractère national qui satisfît tout le monde? Ne pourrait-on prendre, par exemple, celui du grand empereur qui a régné autrefois sur l’Occident, celui de Charlemagne; on dirait des charlemagnes, comme on dit des napoléons et des frédérics. La qualification "seule indiquerait l’universalité. Enfin, si on voulait faire quelque chose de complètement neuf, qui empêcherait de donner à la nouvelle monnaie une empreinte et un nom symboliques rappelant l’idée de progrès à laquelle elle se rattache? Il serait facile de s’entendre sur ce point.

Par toutes ces raisons, nous croyons que la pièce de 10 francs offre la véritable solution de la monnaie internationale. Plus on y réfléchira, plus on sera frappé des avantages qu’elle présente. Il n’y a que la routine, que les préjugés, qui puissent, je ne dirai pas en empêcher, mais en retarder l’adoption. Ce sont là malheureusement des obstacles très puissans. Si on voulait faire l’histoire des progrès de l’humanité, on verrait combien, parmi les plus légitimes, ont été entravés par la force d’inertie qui naît d’habitudes prises. On a démontré l’iniquité des tailles et des anciennes corvées un siècle avant de les faire abolir et d’établir l’égalité des taxes. On a vécu avec le droit régalien du travail, avec les maîtrises et les jurandes, bien qu’il fût reconnu et proclamé de-