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milieu de la nuit, s’efforçaient, mais souvent en vain, de la remettre debout. Les plus heureux, blottis sous un manteau ou sous une peau de mouton, se réveillaient le matin, ceux du moins qui avaient pu dormir, couverts d’un épais linceul de sable. Les chevaux, excités par cette poussière qui les aveuglait, tiraient sur leurs piquets, qu’ils n’avaient pas de peine à arracher, et, s’échappant au milieu du camp, venaient encore augmenter le désordre et la confusion. On ne peut se figurer sans l’avoir éprouvé à quel degré vous irrite cette insolente familiarité du sable qui vous poursuit partout, dans votre lit, sous vos vêtemens, dans les yeux, sous les dents, qui grincent, dans vos alimens, qui en sont saupoudrés. Jamais je n’ai mieux compris combien la folie était près de nous, et combien est courte la route qui peut y mener l’esprit le plus sensé. Cela dura quarante-huit heures.

Le 2 mai, nous disions enfin adieu pour toujours à Si-el-Hadj-Eddin. Le chemin que nous suivîmes pour retourner à Tadjrouna m’était connu; je l’avais déjà pris avec mon escadron pour aller y chercher un convoi de vivres. Je pus ainsi admirer encore une fois les gours de Si-Mohamed-ben-Abdallah, énormes cylindres de sable agglutiné aux parois parfaitement verticales. De Si-el-Hadj-Eddin à Tadjrouna et de Tadjrouna à Laghouat, où nous arrivâmes le 8 mai, la route se fit sans incident. Notre retour était impatiemment attendu. Nos camarades, dont l’imagination avait grossi les dangers courus, avaient conçu sur nous de grandes inquiétudes. Ils étaient tout disposés à nous écouter avec intérêt et à s’apitoyer sur nos maux. Aussi nous firent-ils une chaleureuse réception.

Pendant ce temps, un dernier effort avait été tenté par nos goums. Après avoir poursuivi les Oulad-sidi-Cheik jusque sur l’Oued-Namous, ils les avaient atteints le 25 avril, et les avaient complètement dispersés. Si-Lala avait pu s’échapper; mais sa tente, son trésor (50,000 francs en or), ses bagages particuliers, étaient tombés entre les mains de nos gens. C’était là une véritable victoire; seulement les goums en avaient eu tout le mérite, et nous ne pouvions nous consoler de leur avoir laissé le beau rôle. Pourquoi le manque d’eau avait-il toujours déjoué nos projets? Nous regardions l’expédition comme manquée, parce qu’aucune rencontre n’avait eu lieu. Nous nous trompions cependant. — En ruinant les tribus rebelles, en les poursuivant aussi profondément dans le désert, on les avait mises pour longtemps hors d’état de nuire, et on avait assuré au sud de l’Algérie plusieurs années de paix et de tranquillité.

Alors que dans le calme séjour d’Alger, au pied des rians coteaux de Mustapha, j’évoque, pour écrire ces lignes, mes anciens