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service gratuitement? Dans un pays voisin, l’Angleterre, et c’est le seul à notre connaissance, on ne prélève aucun droit pour fabriquer la monnaie; mais c’est une libéralité qui n’est fondée sur rien et qui ne s’explique pas. Si on prélevait un droit pour frapper la monnaie anglaise, droit léger bien entendu, celle-ci acquerrait aussitôt une plus-value proportionnelle. Elle ne l’a pas aujourd’hui par la raison suivante qu’en a donnée M. Stuart Mill dans un exemple saisissant. « Supposons, dit-il, que le gouvernement ait une boutique où, sur la délivrance d’une quantité de drap donnée, il vous rendrait la même quantité en vêtement, le prix du vêtement sur le marché ne serait pas plus cher que celui du drap; mais, s’il faisait payer, comme cela est juste, le prix de la fabrication, le vêtement vaudrait immédiatement plus que le drap. » Il en serait de même du lingot converti en monnaie. Je sais bien que vis-à-vis de l’extérieur cette conversion ne signifie rien du tout, qu’elle n’ajoute rien à la valeur du métal, car dans la plupart des cas la monnaie doit être refondue pour passer dans la circulation des autres pays. Cela même fait que le lingot est souvent plus recherché. La livre sterling vaut aujourd’hui 25 francs 20 cent.; c’est à cause de la quantité d’or qu’elle renferme. Elle ne vaudrait ni plus ni moins, si elle avait dû acquitter un droit de monnayage; mais ce qui est vrai pour les monnaies nationales, qui n’ont pas cours au dehors, ne l’est plus pour une monnaie internationale, qui passerait les frontières et qui serait reçue partout sans difficulté. Elle acquerrait immédiatement une plus-value par cela même qu’elle serait appropriée à des usages universels, et elle pourrait parfaitement supporter la dépense occasionnée par la refonte sans qu’il y eût préjudice pour personne. Il serait absurde de mettre gratuitement les hôtels des monnaies à la disposition du public. L’Angleterre elle-même serait bien obligée de se soumettre à cette nécessité, si elle ne voulait pas faire à elle seule les frais de la fabrication de la nouvelle monnaie. Il n’y a donc pas de difficulté quant à ces frais; il ne peut pas y en avoir davantage quant à la quantité dont on suppose qu’il faudrait augmenter le stock métallique actuel pour créer la nouvelle monnaie. Cette augmentation ne serait pas nécessaire, on frapperait tout simplement un peu moins de livres sterling, de dollars, de thalers, etc.; l’innovation serait aussi peu gênante que possible.

Il y a encore la question des susceptibilités nationales. Cette question a son importance, et nous n’en méconnaissons pas la portée. Les nations ont le droit de montrer des susceptibilités de ce genre, qui tiennent à leur caractère propre et constituent ce qu’on appelle le patriotisme. On aime sa monnaie, comme on aime son drapeau,