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pas une même monnaie à transmettre d’un pays dans un autre, et il faudrait comme aujourd’hui recourir aux changeurs toutes les fois qu’on traverserait la frontière. Par conséquent l’unité vraie, l’unité féconde, celle dont tout le monde a besoin, ne serait pas faite. Il n’y aurait qu’une unité de convention, qui aurait bien de la peine à se maintenir en présence des embarras qu’elle susciterait. On peut considérer comme certain que, si les Anglais arrivaient à faire prévaloir le système qu’ils mettent en avant, ils devraient commencer par refondre toutes leurs monnaies, excepté le penny et le farthing. Sont-ils résignés à cet immense sacrifice? Si encore il s’agissait de faire l’unité absolue, de mettre tous les peuples d’accord, le dessein serait grand, et on pourrait louer nos voisins de proposer une pareille modification de leur livre sterling; mais pour unir la race anglo-saxonne seulement, pour laisser en dehors toute l’Europe et notamment le groupe de la race latine, qui a déjà 100 millions d’adhérens, et qui, quoi qu’on fasse, ne se ralliera jamais à un pareil système, les Anglais y regarderont à deux fois avant de chercher à mettre cette conception en pratique.


III.

La critique faite de tous les systèmes qui ont été proposés, nous nous retrouvons en face de l’unité des 100 millions d’adhérens à la convention de 1865, c’est-à-dire de l’unité de notre pays avec le franc pour base. Est-ce celle-là qui est appelée à triompher? Nous ne demanderions pas mieux, quant à nous, puisqu’elle ne changerait rien à notre système; mais si déjà la pièce de 5 francs, indiquée par la conférence de 1867, a paru une unité trop faible, si de l’autre côté du détroit on trouve la livre sterling à peine suffisante, le franc prête encore plus à l’objection. Jamais les Anglais ne se résigneront à écrire que leur budget est de 1 milliard 764 millions de francs, au lieu de 70 millions de livres sterling, et de même dans la plupart des pays. C’est comme si, pour mesurer des surfaces considérables, on proposait d’employer le pouce au lieu du mètre ou de la toise; les comptes en seraient trop compliqués, et un des effets de l’unité monétaire doit être de les simplifier. Il faut donc renoncer à faire du franc la base de l’unité; mais on peut trouver dans le système lui-même une autre combinaison qui satisfasse tous les intérêts. Cette combinaison serait l’adoption de la pièce de 10 francs. Cette pièce est complètement décimale dans ses multiples et ses sous-multiples. Elle représente une unité assez forte pour répondre à bien des besoins; de plus elle est en rapport assez exact avec des