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ces rives, dont les sinuosités, aussi loin que la vue pouvait s’étendre, étaient dessinées par le vert branchage des lauriers-roses. En face de nous se dressait un beau massif de palmiers, et enfin, planant au-dessus de l’oasis comme un vieux château ruiné, l’ancien ksar de Benouth. Une rangée de petites collines aux contours arrondis qui s’enfuit à perte de vue sur la droite de l’autre côté de la rivière achève de donner à ce paysage une apparence presque française. Du côté de l’ouest, c’est encore le désert; mais le disque du soleil, déjà entamé par l’horizon, enveloppant la plaine de ses rayons rouges, la fait disparaître dans un embrasement général. Était-ce la beauté du spectacle ou le souvenir qu’il faisait naître en nous de la patrie absente? Je ne sais, mais il y eut à coup sûr un sentiment d’émotion auquel personne n’échappa, et ce fut presque en silence qu’on établit le bivouac à l’ombre des palmiers.

En s’approchant de l’oasis, on sentait peu à peu s’effacer l’impression agréable qu’on avait éprouvée au premier abord. Le ksar, détruit quelques mois auparavant par une de nos colonnes, est maintenant complètement abandonné. Les murs en terre s’affaissent peu à peu et se fondent en une masse informe où rien ne rappelle le charme et la poésie de nos ruines d’Europe. D’ailleurs on est trop près du jour du désastre, et le temps n’a pas encore effacé les terribles traces de la main de l’homme. Sur le mur le plus élevé du ksar, un crâne humain que le soleil a blanchi semble avoir été placé là par quelque mauvais génie ennemi des Arabes pour les empêcher d’oublier nos vengeances, et pour servir d’épouvantail à quiconque serait tenté de revenir habiter l’oasis.

Afin de laisser un peu reposer les chevaux, nous passâmes à Benouth la journée du lendemain 26, et le 27, après avoir rempli les tonneaux, nous entrâmes dans la plaine aride des Habilates, nous dirigeant sur Si-el-Hadj-Eddin. Avec quelle ardeur je désirais maintenant atteindre ce lieu qui la première fois m’avait paru si triste ! Tout est relatif sur la terre. Je ne voyais rien en ce moment au-delà de ce village en ruine, et mon esprit s’était habitué à le regarder de bonne foi comme une des villes principales du monde civilisé. On y arriva enfin le 29 avril, et on y retrouva la colonne d’infanterie et la compagnie à laquelle on avait laissé la garde des vivres. Nous avions bien mérité deux jours de repos : le colonel nous les accorda; mais le ciel moins clément les changea en deux jours de souffrance. A peine étions-nous arrivés que le vent du sud, le terrible siroco, commença de souffler et dégénéra bientôt en un affreux ouragan. Les tentes, dressées sur un terrain sablonneux, cédant à la violence du vent, s’abattaient les unes après les autres. Un grand nombre d’entre nous, forcés par la chute de leur tente à se lever au