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son conseil et délibéra longtemps pour savoir s’il ne devait pas lui obéir. Les césariens avaient soin de prolonger ces discussions et la terreur de leur maître par une contenance soucieuse. Chaque accès de ce genre était l’occasion d’une liquidation générale; chaque césarien apurait ses comptes par la proscription, la confiscation, la mort. Ils étaient si expéditifs que plus d’une fois les centurions se présentèrent pour rendre compte d’une exécution avant que Claude l’eût ordonnée; alors les césariens présens louaient le zèle des centurions et faisaient doubler la récompense. Plus d’une fois césar invita à souper des citoyens qui avaient été tués par son ordre, sans qu’il le sût. Il n’y avait plus de jugement en matière politique ou criminelle, les accusés étaient traînés dans le palais, condamnés, frappés; c’était la justice sommaire des sauvages. Le sénat n’avait plus besoin de se déshonorer par des sentences iniques; cette formalité était superflue, tout se passait à huis clos, dans la chambre de l’empereur.

Or la plus odieuse et la plus intolérable des tyrannies est celle qui supprime les formes juridiques. Certes un chef absolu ne manque ni d’armes tirées de l’interprétation des lois, ni de limiers ardens, ni de magistrats complaisans ou timides; l’accusé qu’il veut atteindre lui échappe rarement : le règne de Tibère en est la preuve; mais les tribunaux sont une dernière garantie, la défense une dernière consolation, la publicité une dernière pudeur. Tous les arrêts rendus par ce césar imbécile sont des attentats à la justice; toutes les exécutions qu’il a commandées sont des assassinats. Il assassinait pour le compte d’autrui; il était l’instrument de Messaline et des césariens; on le trompait, dira-t-on; sa stupidité en fait presque un innocent. Eh bien! veut-on savoir ce que coûte de sang à un peuple un despote faible et incapable? Sous le règne de Claude, on a exécuté trente-cinq sénateurs, trois cents chevaliers romains, trouvé ou supposé plus de parricides en cinq ans qu’on n’en avait supplicié pendant trois siècles; toutes les prisons étaient pleines; on a pu rassembler un jour dix-neuf mille proscrits sur les flottes du lac Fucin; enfin le sang des condamnés ruisselait dans l’amphithéâtre avec une telle abondance qu’on dut voiler la statue d’Auguste, afin de ne point souiller la face de ce dieu clément. Voilà où peut conduire un gouvernement irresponsable, quand la sottise du souverain sert de manteau à toutes les infamies de ses valets. Les césariens n’étaient point responsables devant la constitution; Claude, infirme d’esprit, n’est plus responsable devant la morale, il n’avait même plus conscience qu’il était un bourreau.

Pauvre misérable! misellus selon l’expression d’Auguste! Que ne restait-il obscur dans la condition privée? Il aurait vécu doucement,