Page:Revue des Deux Mondes - 1869 - tome 80.djvu/375

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

main-d’œuvre, une nappe considérable resta sur la vallée plate et égale comme une plage. Il fallut recommencer, et l’on creusa alors la rigole supplémentaire qui a été observée par Hirt, et dont profitent sans doute les spéculateurs modernes qui ont voulu dessécher de nouveau le lac reformé au moyen âge par l’obstruction de l’émissaire.

A l’aide de ces entreprises, ruineuses pour le trésor public, productives pour le trésor des administrateurs, les césariens amusaient Claude, lui créaient des soucis agréables, multipliaient des voyages qui le tenaient en haleine et en appétit; mais leur moyen d’action le plus puissant, c’était la peur. La peur était pour Claude une source inépuisable d’émotions; la peur remplissait sa vie de drames sans cesse renouvelés. Par leurs mensonges, par leurs délations, par les contes les plus ridicules, les césariens troublaient le faible cerveau de Claude, et l’accord de leurs récits ne laissait aucun refuge à son bon sens. Claude était naturellement lâche, comme tous les niais, naturellement cruel, comme tous les Romains. La vue des gladiateurs l’avait accoutumé au sang; il se penchait avec avidité sur le visage des mourans quand il assistait aux combats de l’amphithéâtre; il attendit un jour entier, à Tibur, devant le poteau auquel était lié un condamné, parce qu’il avait envie d’assister à un supplice dont la mode était perdue, et parce qu’il avait envoyé chercher à Rome le bourreau.

De plus sa propre lâcheté le rendait féroce, et les césariens n’avaient point de peine à pousser au meurtre l’âme qu’ils avaient eu soin de remplir de terreur. Ils évoquaient sans cesse l’image de Caligula assassiné sous ses yeux; ils lui montraient partout des ennemis, des complots, des poignards. Personne n’approchait de lui sans être fouillé, les femmes comme les hommes; il était toujours entouré de gardes, même à table. Les apparences les plus futiles suffisaient pour lui arracher un arrêt de mort. Messaline accourt un matin éplorée : elle l’a vu en rêve assassiné par son beau-père Silanus. Narcisse entre chez Claude à son tour, le visage décomposé : il a fait le même rêve. A point nommé se présente Silanus, que les deux complices ont fait inviter la veille à se trouver au Palatin dès la première heure. Il n’en faut pas davantage, Silanus est mis à mort sans procès. La crédulité de Claude était telle qu’un plaideur eut l’art de lui raconter un rêve du même genre et de lui donner, comme signalement de l’assassin qu’il avait entrevu, la description exacte de son adversaire. Lorsque l’adversaire se présenta pour plaider sa cause, l’empereur épouvanté reconnut le personnage du rêve et le fit tuer aussitôt. Une autre fois, un agitateur populaire nommé Camille lui écrivit pour lui enjoindre d’abdiquer. Claude rassembla