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prouver à cette foule inactive et vicieuse qu’on s’occupait uniquement d’elle et de ses besoins, qu’on assurait l’approvisionnement de Rome en creusant à grands frais un port à l’embouchure du Tibre. On ouvrit un bassin près d’Ostie, on le fit communiquer avec le fleuve et avec la mer par un double canal; on construisit deux digues qui arrêtaient les flots; on remplit et on coula le navire colossal qui avait apporté d’Egypte l’obélisque de Caligula, et sur ce noyau on bâtit une île qui arrêtait les sables, un phare qui guidait les navigateurs attardés. Deux bas-reliefs du musée du prince Torlonia, à la Lungara, trouvés à Porto, deux mosaïques d’Ostie, dans la maison que M. Visconti appelle les Thermes maritimes, des monnaies de Néron, donnent une impression très sommaire de ce travail, qui n’avait rien de nécessaire, car l’embouchure du Tibre était aussi accessible que l’ouverture du canal qui menait au bassin de Claude.

Le pain assuré, il fallait procurer à la multitude l’eau en abondance. Déjà sept aqueducs en amenaient à Rome un volume si considérable que l’on comptait par jour plusieurs mètres cubes d’eau pour chaque habitant. On feignit de croire que cette quantité ne suffisait pas, et on témoigna une touchante sollicitude pour abreuver ceux qu’on avait nourris. On reprit les plans de Caligula, qui n’était point un modèle de raison, et l’on alla chercher sur la route de Sublaqueum (Subiaco), au 38e mille, à gauche de la route, trois sources, la Curtia, la Cærulea, l’Albudina, que l’on réunit dans un huitième aqueduc sous le nom d’eau claudienne. Les constructions avaient 46 milles de longueur, c’est-à-dire 36 milles sous terre et 10 milles à ciel ouvert sur des arcs ou des substructions. Un neuvième aqueduc amena les eaux de l’Anio, détournées au 62e mille et clarifiées préalablement dans des réservoirs; le parcours était de 58,700 pas, dont 9,400 pas étaient édifiés sur le sol. Il était facile, sur une étendue aussi vaste, de multiplier les gains illicites, les erreurs de comptes, la falsification des mortiers, la dépréciation de la qualité ou l’augmentation du prix des matériaux. Ce qui prouve que les césariens avaient fait de trop larges détournemens à leur profit, c’est que peu d’années après Vespasien fut obligé de restaurer une œuvre si simple qu’elle devait demeurer inaltérable pendant bien des siècles. D’un autre côté, comme l’art romain a mis sur ces constructions inutiles le sceau de la grandeur, la beauté des ruines ferme la bouche aux critiques des modernes. L’aspect saisissant de la Porte-Majeure, où se réunissent les aqueducs, la hardiesse des arcs, qui s’élèvent à 109 pieds romains dans les airs, leur suite pittoresque, qui longe les murs de la ville, les anciens jardins d’Héliogabale, le couvent de Sainte--