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furent désignées pour faire partie de la colonne légère. Le départ de cette bizarre cavalerie fut une scène des plus amusantes. Le cavalier et sa monture, peu habitués l’un à l’autre, s’entendaient d’abord assez mal. Le chameau s’agenouillait, l’homme s’établissait sur son dos : jusque-là tout allait bien; mais lorsque la bête, détendant comme un ressort d’acier ses longs jarrets, se relevait par deux brusques saccades, le malheureux, épouvanté, se cramponnait à la bosse avec des gestes de désespoir comique. L’animal partait-il au trot en secouant durement son cavalier et l’entraînait-il dans quelque touffe de tamaris, c’étaient alors de toutes parts des cris de joie, des éclats de rire, que venaient encore surexciter les plaintes du patient. Un homme perdait-il l’équilibre, l’hilarité redoublait, et les plaisanteries de ses camarades pleuvaient sur lui du haut de tous les chameaux voisins. Les chutes étaient heureusement sans danger sur le sable. On riait encore à minuit, lorsque tout à coup on entendit dans le lointain des bêlemens de moutons. On se crut enfin en présence des tentes ennemies. L’ordre fut donné d’arrêter, et à la pâle clarté de la lune on prit ses dispositions pour le combat. Chacun serra sa jugulaire, arma son pistolet, sortit à moitié son sabre du fourreau ; puis le silence se fit, troublé seulement de temps en temps par des bêlemens encore éloignés ou par le galop de quelques chevaux isolés. On voyait glisser dans l’obscurité comme des fantômes les burnous blancs de leurs cavaliers. Nous eûmes là cinq minutes d’attente pleine d’émotion; mais ce fut encore une déception : les burnous blancs étaient ceux de nos éclaireurs, et nous n’avions devant nous qu’un petit troupeau de moutons gardé par quelques bergers. A défaut de gloire, nous venions d’acquérir une provision de côtelettes : on les envoya sans tarder à la colonne d’infanterie, qui s’en nourrit pendant plusieurs jours.

La lune nous avait complaisamment prêté son concours pour accomplir les grandes choses que je viens de raconter. A peine furent-elles terminées, qu’elle jugea à propos de nous le retirer. Nos guides ayant déclaré qu’ils n’étaient pas assez sûrs du chemin pour affronter l’obscurité de la nuit, on fit halte; un cavalier sur huit fut désigné pour tenir les chevaux de ses camarades, et les autres, se roulant dans leurs manteaux, s’endormirent à la place où ils se trouvaient. A peine les premières lueurs du soleil, invisible encore, vinrent-elles blanchir l’horizon que l’ordre fut donné de remonter à cheval pour recommencer cette poursuite que nous ne désespérions pas encore de voir se terminer par un brillant succès. Après avoir marché toute la journée, nous arrivâmes le soir à Ras-Mehareg, le bivouac de Si-Lala; mais nos fugitifs adversaires l’avaient quitté le matin. Quelques traces indiquant l’enceinte occupée par les tentes des chefs, quelques emplacemens noircis par le feu du