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sur le bras de Cérès, comme Hercule sur le bras de Junon, comme Jupiter enfant sur les bras d’une des nymphes ses nourrices; mais l’attention se porte aussitôt sur le visage, car c’est le visage qui exprime, c’est le visage qu’il faut pénétrer. Ce qui nous frappe tout d’abord dans l’aspect général de Messaline, c’est un type réel, toujours vrai, tout à fait romain, qui se rencontre aujourd’hui encore dans les rues de la ville éternelle, type vulgaire et beau qui appartient plutôt aux paysannes des bords du Tibre qu’à l’aristocratie. Il faut considérer avec un peu de recueillement cette tête qui n’a rien de saisissant ; il faut laisser le marbre, matière incolore et pleine d’abstractions, nous pénétrer lentement par son rayonnement doux, qui peu à peu devient un langage. Alors seulement nous sentons se dégager l’expression du caractère et de la vie.

Le cou est puissant, souple et solidement attaché. Le visage est rond, ce qui est rare dans les statues grecques et romaines, d’une égale plénitude, luxuriant de santé. La bouche est jolie, sans finesse, savoureuse; elle hume le plaisir. La peau, traduite par l’épiderme du marbre, manque de transparence, elle est gonflée par l’habitude du désir et la fatigue amoureuse; les muscles sont engourdis, somnolens en apparence, non visibles et comme noyés. L’expression est véritablement nulle. Dans la vie ordinaire, Messaline devait, comme sa statue, montrer une sorte de stupeur molle et agréable. L’esprit n’a rien à trahir. Tout le tourbillon est intérieur; la flamme court avec le sang et ne brûle que les veines. C’est une vérité reconnue dans tous les temps que la plupart des grandes courtisanes ont pour privilège la tranquillité, la fraîcheur, la jeunesse prolongée et comme perpétuelle. — Il faut bien en effet qu’elles bravent les années et se conservent par leurs excès mêmes, ces natures qui n’ont d’autre malheur que d’avoir une trop belle constitution.

Le front est bas : c’est le front de la courtisane populaire, de la fille de la Suburra. Les cheveux doivent être noirs; cela se sent à leur qualité, à leur grain, à leur épaisseur; ils doivent ressembler à la plume du corbeau; ils sont épais, plantureux, matelassés; ils ondulent comme une mer agitée. Là surtout se manifeste la sève puissante, rustique, qui rappelle l’athlète. Les yeux sont beaux, ronds, saillans; ils n’ont ni lumière ni ténèbres, ni bonté ni méchanceté; ce sont les yeux d’un animal superbe qui n’est régi que par l’impétuosité de ses instincts, ou bien ils rappellent les yeux de ces statues archaïques qu’on trouve dans la Phénicie et dans l’île de Chypre, et qui représentent Vénus Astarté, type asiatique, sensuel et sanguinaire, qui veut un culte mêlé de supplices et de volupté.

Contemplez ce marbre à loisir, à la clarté de l’histoire, vous verrez sous la beauté des formes percer le monstre, créé non par la na-