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d’oublier si facilement ses souffrances pour se livrer tout entier à la joie du présent, sans retour sur le passé,. sans souci de l’avenir.

Les quatre lieues qui nous restaient encore à faire pour arriver à Mengoub furent franchies rapidement, et le soir à sept heures nous retrouvions campées au milieu d’un véritable bosquet de tamaris les deux colonnes d’infanterie, arrivées seulement quelques heures avant nous. Elles avaient toutes deux passé d’assez tristes momens, et la soirée fut consacrée à nous raconter mutuellement nos aventures. La colonne légère, celle que nous avions quittée à son bivouac le 17 au soir, après avoir épuisé sa petite provision d’eau, s’était remise en marche a deux heures du matin pour atteindre avant la grande chaleur les r’dirs de Bou-Aroua, qu’on lui avait dits inépuisables. Elle y avait trouvé seulement un petit nombre de tonneaux pleins d’eau que nous y avions laissés à son intention, et s’était remise en route immédiatement dans la direction de Mengoub. Obligés de marcher deux jours de suite avec une ration insuffisante d’eau bourbeuse, les pauvres fantassins n’étaient arrivés à Mengoub qu’après de cruelles souffrances. La colonne chargée des bagages, à laquelle nous avions dit adieu à Si-el-Hadj-Eddin, n’avait pas été plus heureuse. Apprenant par un message du colonel que les r’dirs de Bou-Aroua étaient à sec, elle avait dû obliquer vers Mengoub; mais elle en était encore loin, et sa provision d’eau était épuisée. Il fallut envoyer à la recherche des puits le convoi chargé de tonneaux vides avec l’ordre de revenir dès qu’on serait parvenu à les remplir. On juge des angoisses que durent éprouver ces pauvres gens attendant pendant une demi-journée et une nuit entière les chameaux, qui ne revenaient pas. Au point du jour enfin, ils les avaient vus arriver, et avaient pu reprendre leur route vers Mengoub.

Les trois journées que nous passâmes dans ce joli endroit ne furent pas perdues pour nos infatigables goumiers. A peine les premiers étaient-ils rentrés au camp avec leur butin que d’autres s’étaient élancés de nouveau à la poursuite du marabout; ils l’avaient atteint une seconde fois à vingt-deux lieues de notre camp, lui avaient fait 11 prisonniers et enlevé 275 chameaux. Il était six heures du soir, et nous allions nous mettre à table lorsqu’ arriva la nouvelle de ce succès. Les goums envoyaient aussi des renseignemens précis sur la position et sur les forces de l’ennemi. C’était une belle occasion pour venger notre échec de Bou-Aroua; mais il fallait se hâter et ne pas laisser à Si-Lala le temps de s’écarter davantage des puits. Le colonel donna immédiatement l’ordre de seller les chevaux. Comme la première fois, le manteau fut le seul bagage autorisé; outre les escadrons, deux compagnies, l’une de zouaves, l’autre de chasseurs à pied, montées sur des chameaux,