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avant de le produire en public, enfin que l’on sait comment se fabriquent les discours, les répliques, les mots profonds, heureux et même imprévus de la plupart des princes. Du reste, le parti d’Auguste était pris; il ne laissa Claude exercer aucune fonction, ne lui accorda d’autre honneur que le titre de prêtre et d’augure, afin qu’il participât au caractère sacré de la famille; dans son testament, il ne lui légua qu’une somme de 16,000 francs.

Tibère fut aussi réservé envers son neveu; il lui conféra les ornemens consulaires, mais lui refusa tout pouvoir, et comme Claude, excité par ses familiers, écrivait à Tibère pour demander le véritable consulat, l’empereur lui répondit simplement : « Je t’envoie quarante écus d’or pour célébrer les saturnales. » Le sénat, qui ne reculait devant aucune bassesse, essaya bien de faire quelque chose pour Claude; mais Tibère s’y opposa en alléguant sa stupidité. Claude perdit courage et se retira dans une maison des faubourgs, qu’il quittait l’été pour se rendre en Campanie. Là il vivait entouré d’esclaves, d’affranchis, de parasites, délaissé par les honnêtes gens, flatté, amusé, bafoué par la fleur de la canaille de Rome. Il aimait la grasse chère, les femmes, le jeu (il a écrit un traité sur le jeu de dés). L’amour des lettres ne le corrigeait point de ses habitudes grossières parce que les lettres ne passaient qu’après les plaisirs matériels.

Sous Caligula, la fortune parut lui sourire. L’empereur, se souvenant que Claude était son oncle, le fit consul pour deux mois, et l’on rit longtemps de son consulat; mais lorsque le sénat, voulant faire complimenter Caligula sur les bords du Rhin, lui envoya Claude, le divin Caïus fut tellement blessé qu’il fit jeter dans le Rhin ce triste ambassadeur. On le repêcha, mais il ne retrouva plus sa faveur perdue; au contraire il devint le jouet de la cour. Arrivait-il en retard pour un festin, on s’arrangeait de façon à ne lui laisser aucune place partout où il espérait en trouver, et il était forcé de tourner autour des tables d’un pas chancelant. S’endormait-il à la fin du repas, selon son habitude, ses voisins lui jetaient des noyaux d’olives et de dattes à la figure; les baladins le cinglaient avec leurs lanières de cuir; ou bien on glissait au bout de ses deux mains des brodequins détachés des pieds d’un esclave, et quand le malheureux se réveillait en sursaut, il se frottait les yeux avec ces brodequins. Enfin les embarras matériels s’ajoutaient aux mauvais traitemens. Caligula laissa mettre en vente les biens de son oncle, qui avait voulu devenir prêtre du nouveau culte, lorsque césar s’était déclaré dieu, et avait fait 800,000 fr. de dettes pour inaugurer son sacerdoce, à la grande joie du peuple et des soldats. Voilà donc comment le malheureux Claude était traité par les siens voilà quel témoignage sa famille a porté contre lui, soit par ses écrits, soit par ses actes.