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l’entourer de prestige, il parlait de Claude avec embarras, il n’osait le produire. Il exprime ses craintes dans trois lettres que Suétone a copiées et dont je citerai des fragmens, car il est toujours intéressant de connaître la pensée d’Auguste. La première lettre est adressée à Livie.

« J’ai consulté Tibère, comme tu me l’as demandé, ma chère Livie, sur ce que nous ferons de Claude aux fêtes de Mars, Nous sommes d’avis qu’il faut prendre un parti une fois pour toutes. Si nous voulons lui reconnaître les droits d’un héritier, il faut le faire passer par les fonctions et les honneurs qui ont été accordés à son frère. Si nous sommes convaincus de son incapacité et de la faiblesse de sa santé aussi bien que de son esprit, il ne faut point l’exposer et nous exposer nous-mêmes avec lui à la risée des hommes, qui ne manquent jamais de saisir de telles occasions, car nous serons toujours en émoi si nous attendons chaque circonstance pour nous décider, au lieu de le reconnaître absolument incapable d’exercer les emplois. Cependant, dans la conjoncture présente, il ne nous déplaît pas qu’aux fêtes de Mars il préside la table des pontifes, à la condition qu’il ait auprès de lui le fils de Silanus, son parent; Silanus l’empêchera de rien faire qui soit déplacé ou ridicule. Nous ne voulons pas qu’il assiste aux jeux du cirque dans notre tribune : il y serait trop exposé aux regards des spectateurs. Enfin il n’ira ni aux sacrifices du mont Albain ni aux fériés latines... Telle est notre décision commune, ma Livie, et nous désirons que notre conduite, envers Claude soit réglée d’une manière absolue, afin de ne pas flotter toujours entre la crainte et l’espérance. Tu peux communiquer à Antonia, si tu le trouves bon, cette partie de ma lettre. »

Une autre fois, Auguste écrit à Tibère : « Pendant ton absence, j’inviterai tous les jours à souper le jeune Claude, de peur qu’il ne soupe seul avec son Sulpicius et son Athénodore. Je voudrais que ce pauvre misérable (misellus) choisît moins sottement ceux dont il imite les gestes, la tenue, la démarche. Il est par trop malencontreux, quoique son esprit, lorsqu’il n’est point égaré, fasse souvenir parfois de sa naissance. » Enfin, dans le troisième fragment, nous voyons Auguste tout surpris d’avoir découvert quelque qualité dans le fils de Drusus. « Que je meure, ma chère Livie, si je ne suis pas le plus étonné du monde d’avoir entendu déclamer Claude, ton petit-fils, et de l’avoir entendu avec plaisir! Comment se fait-il que lui, qui parle d’ordinaire avec si peu de clarté, se fasse entendre si clairement lorsqu’il déclame? » Livie aurait pu répondre à Auguste que, dans la vie ordinaire, un sot, quand il est bien stylé, peut répéter une leçon tout comme un autre, que Claude avait la passion de l’éloquence, qu’il s’entourait de précepteurs ou de collaborateurs qui le préparaient de mille façons