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appellent la Banque, devrait sortir de son cercle d’action habituel et entrer sans hésitation dans le mouvement des affaires. En la pressant, fort heureusement en vain, de soutenir des opérations d’intérêt général touchant à l’agriculture et au commerce, ils obéissent à l’ancienne idée latine, catholique, essentiellement française, en vertu de laquelle on a toujours recours à l’ingérence du gouvernement, qui tue l’initiative individuelle. La Banque a résisté, et elle a bien fait. Mole sua stat. Elle veut simplement, mais elle veut avec une inébranlable fermeté, que son billet soit bien réellement de l’or pour tout le monde. Ce résultat, qui pourrait nier qu’elle ne l’ait toujours obtenu? Si jamais ce vieux monument se laissait envahir par les plantes parasites, il ne tarderait pas à être couché dans la poussière. C’est pour avoir voulu généraliser ses opérations que Law a jeté la France dans une banqueroute formidable. L’argent de la Banque ne lui appartient pas; elle en est le dépositaire, on le lui a confié, et il est la garantie de sa monnaie fiduciaire. Le jour où elle consentirait à se départir de ce principe, elle entrerait dans la vie d’aventure, qui mène au port quelquefois et le plus souvent au naufrage.

En dehors des conseillers trop intéressés pour être écoutés et qui veulent la forcer à rompre brusquement avec ses sages traditions, la Banque a des ennemis qui verraient volontiers dans sa ruine un nouvel élément de prospérité publique. De ceux-là, il faut sourire, car ils ne sont point dangereux. Un agitateur célèbre, montrant du doigt l’hôtel de la rue de La Vrillière, a dit : « C’est là qu’il faut faire la prochaine révolution! » Niaiserie d’un niveleur excentrique et d’un sophiste enivré de son propre paradoxe! La Banque est le cœur même de la vitalité commerciale et industrielle de la France; c’est la bourse toujours ouverte où les petites gens vont puiser. Qu’un coup violent vînt à la briser, tout succomberait aussitôt avec elle, et les auteurs d’un tel crime seraient les premiers à mourir de faim sur les ruines qu’ils auraient faites. Il n’y a rien à craindre de semblable, et, en admettant qu’une révolution soit possible, elle n’atteindrait pas plus la Banque que 1830 ou 1848 ne l’ont atteinte. Elle est et elle restera l’exemple d’un établissement qui a pu traverser sans péril des crises que l’on croyait mortelles, que le cours forcé de ses billets a popularisé, et qui, par sa moralité, par l’excellent mécanisme constitutionnel du gouvernement qui dirige ses destinées, est devenu pour le crédit public un organe d’une puissance unique au monde.


MAXIME DU CAMP.