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portes de fer armées chacune de trois serrures se présentent ensuite. Pour les ouvrir, il faut le concours du caissier principal et du contrôleur-général. Lorsque tous les obstacles sont franchis, on pénètre enfin dans ces caves mystérieuses. On s’attend à se trouver dans le domaine même des éblouissemens, à voir les masses d’or et d’argent briller à la lueur des bougies en étincelles éclatantes, et l’on se trouve en présence de hautes caisses en plomb qui cachent hermétiquement ce qu’elles contiennent, et ne le laissent soupçonner que par l’étiquette écrite à la main qu’on a collée dessus. C’est l’argent qui est là, monnayé et enfermé dans de grands sacs qui tous invariablement tiennent 10,000 francs. Ceux de nos lecteurs qui, visitant un navire de guerre, sont descendus dans la soute à l’eau, peuvent se faire une idée très exacte de l’aspect général de ces caves, à cette différence près que les caisses, au lieu d’être en fer boulonné et rivé, sont en plomb. Les sacs d’or, d’une valeur de 10,000 francs aussi, sont gerbes les uns sur les autres, comme des bûches dans un chantier, par larges tas grisâtres, sans caractère et sans originalité. Lorsqu’on les remue un peu vivement, ils rendent un petit son aigrelet qui rappelle le métal et l’idée de la richesse. Les lingots d’argent, appartenant aux banquiers et aux changeurs qui les ont déposés à la Banque contre avances, sont symétriquement rangés, et ont l’air de briques d’un blanc verdâtre. Seuls les lingots d’or, jetant des lueurs fauves quand on les éclaire, semblent des carrés de feu immobilisés et représentent bien la matière précieuse. En somme, l’aspect est décevant et la dernière des vitrines de la galerie d’Apollon, au Louvre, montrant des buires en cristal de roche et des statuettes en sardoine, produit une impression bien plus profonde et bien plus durable. Lorsque je les ai visitées, les caves contenaient 726,275,666 fr. 68 centimes; mais il faut une certaine réflexion pour comprendre que ces caisses de plomb, ces tas de sacs au milieu desquels on se promène, constituent une fortune sans pareille.

Quels sont les moyens que la Banque tient en réserve pour empêcher qu’on ne pénètre dans ses caves, ou pour neutraliser les intentions mauvaises de ceux qui seraient parvenus à s’y introduire? Il est difficile de le dire, car elle n’est point bavarde à cet égard; mais on peut penser qu’il lui est facile d’asphyxier ou de noyer l’imprudent qui s’y serait hasardé dans des intentions coupables. Les tuyaux à gaz et les conduites d’eau seraient en ce cas d’excellens auxiliaires. De plus elle peut, dans un laps de temps très court, ensabler complètement l’escalier, et, comme il n’y a pas d’autre voie pour entrer dans les caves, l’accès en deviendrait absolument impossible. La Banque fait bien d’être en mesure de protéger son encaisse