Page:Revue des Deux Mondes - 1869 - tome 80.djvu/335

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Elle est curieuse à visiter, cette caisse principale : le mouvement y est incessant et considérable; il devient parfois excessif au moment des fortes liquidations. Dans la journée du 5 décembre 1868 par exemple, il a été de 550,559,509 francs 18 centimes. C’est alors un va-et-vient perpétuel, et, sous forme de billets, le Pactole coule par les guichets devant lesquels s’entasse le public. J’ai vu là, sur de grandes tables où on les compulsait, 105 millions répandus. J’étonnerai peut-être le lecteur en lui avouant qu’un tel spectacle ne produit aucun effet. Autant l’on est ébloui par la vue de quelques centaines de mille francs en pièces d’or, scintillantes et sonores, autant on reste calme en présence de ces feuillets de papier. Un million en billets de banque épingles et ficelés ne fait pas grand embarras, comme on dit vulgairement; dans la main, c’est fort léger, 1,644 grammes, et à l’œil cela figure à peu près le volume d’un gros in-octavo. Il y a quatre ou cinq ans, un tanneur de Dijon, ayant dit que le budget représentait en billets de banque la hauteur du clocher de Saint-Bénigne, fut traduit en police correctionnelle sous l’inculpation de propos séditieux. Devant le tribunal, il soutint son opinion avec vigueur, et fut acquitté. Les juges ont montré de l’esprit en cette circonstance, et de plus ils ont implicitement reconnu que le prévenu n’avait pas tort. Mille billets de 1,000 francs placés à plat ont précisément 10 centimètres de haut. En donnant au budget 2 milliards en chiffres ronds, les billets de banque qui le composent superposés les uns aux autres atteindraient une hauteur de 200 mètres; or, d’après l’Annuaire du Bureau des longitudes, la tour de Saint-Bénigne n’a que 92 mètres 09 cent.; le tanneur de Dijon était donc bien au-dessous de la vérité.

Quoique la caisse principale soit amplement fournie de manière à faire face aux nécessités de chaque jour, il arrive parfois qu’elle se trouve inopinément dépourvue, et qu’on est obligé d’aller puiser dans la grande réserve qui est déposée dans les caves. Les caves de la Banque ! ce sont-là cinq mois magiques qui ouvrent un horizon sur le pays des Mille et une Nuits. On s’imagine que dans ces souterrains, qui devraient, comme le trésor des Niebelungen, être gardés par des génies, les pièces d’or et les écus d’argent sont jetés en tas ainsi que l’avoine dans les greniers. Il n’en est rien, et il en faut rabattre. Nul endroit n’est plus triste, plus terne, moins fait pour tenter. Les doubles portes qui en protègent l’entrée sont formidables, et nulle forteresse n’est défendue par de telles murailles de fer, par de si gros verrous, par de si puissantes serrures. On y descend par un escalier en vrille, tout en pierres de taille assemblées au ciment romain, défiant le pic et la pioche; il est si étroit que deux personnes n’y peuvent passer de front. Quatre