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pas payer leurs dettes, elle ne s’est jamais montrée créancière implacable. Elle prend ce qu’on appelle en langage de procureur toutes les mesures conservatrices, protêt, dénonciation de protêt, saisie-arrêt, inscriptions hypothécaires; mais jamais elle n’a provoqué une vente mobilière ou immobilière, requis l’emprisonnement, fait déposer un bilan. Sa mansuétude est inaltérable; comme un géant qui ne s’abaisse pas à frapper un être faible, elle retient ses coups et se laisse rire au nez par ses débiteurs, qui lui disent parfois avec impudence : Je vous défie de me faire mettre en faillite. En cela, il faut reconnaître qu’elle agit avec autant d’esprit que de générosité.

Tels sont en somme les travaux de la Banque. Aucune de ces opérations, si minime qu’elle soit, fût-ce l’enregistrement d’un effet de 1 fr. 25 cent., ne peut être faite par un seul employé. Toutes les écritures sans exception exigent le concours de plusieurs agens. Ce système de formalités méticuleuses peut paraître empreint d’exagération; mais il constitue un contrôle permanent et assure une régularité infaillible, puisqu’il engage plusieurs responsabilités intéressées à se surveiller mutuellement. Les résultats d’une pareille organisation sont tels qu’une erreur est chose rare à la Banque, et que dans le bureau de l’escompte, où il passe annuellement plusieurs millions d’effets qui sont examinés un à un, on n’a depuis vingt ans égaré qu’un seul billet, lequel valait 20 francs. La comptabilité est excellente, car chaque caissier est teneur de livres; cependant on ne s’en rapporte pas à eux, et le soir toutes les écritures de la journée sont transmises au bureau de la balance, qu’on appelle plus communément les livres. Là, des employés spéciaux, qu’on nomme balanciers, prennent ces innombrables paperasses écrites au courant de la plume, les réunissent, repassent tous les chiffres, refont tous les calculs, ne jugent que sur pièces à l’appui, comme ferait une cour des comptes, et relèvent les erreurs, s’il y en a. Il suffit parfois d’une virgule mal placée pour mettre en déroute une colonne de deux cents chiffres. Un effet de 16 fr. 55 a été inscrit 1,655 fr.; il faut tout recommencer, tout reprendre, et arriver à force de soins, de patience, de perspicacité, à découvrir pourquoi les totaux ne sont pas en concordance exacte. On peut dire que la Banque ne se couche qu’après avoir mis ses comptes à jour : tant qu’une erreur n’est pas rectifiée, on veille et l’on travaille, quand même le gaz éteint aurait fait place au jour. Grâce à cette façon de procéder, la Banque sait toujours où elle en est. Chaque soir, son passif est aligné en balance avec son actif. A quelque heure que ce soit, elle est prête à liquider, à rendre compte de sa gestion, car à chaque minute elle sait combien elle a de billets en circula-