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fallu gravir. La Banque les autorise à donner une fiche portant leur nom et le numéro de leur brigade aux personnes qui ne peuvent pas payer immédiatement, afin que celles-ci puissent venir acquitter à l’hôtel de la rue de La Vrillière le montant de leur effet.

La galerie est curieuse à visiter, surtout aux jours des grandes échéances de la fin de juillet et de la fin de décembre. En attendant que les constructions soient terminées, on assemble dans la première cour des baraques séparées par des barrières où l’on parque les retardataires; un grand tableau, visible pour tous, indique les noms des garçons qui, étant rentrés, peuvent encaisser à la Banque les recettes qu’ils n’ont point touchées dans la journée. C’est vers quatre heures que la foule arrive, empressée, inquiète, presque anxieuse, dans la crainte d’être venue trop tard et de ne pouvoir éviter un protêt. En cela, elle a tort; dès qu’elle a pu entrer dans la cour, elle est certaine qu’elle ne sera pas renvoyée au lendemain. Ceci est de principe à la Banque; on sait qu’on appartient au public, et l’on ne s’y couche que lorsque toute la besogne est faite.

La galerie, éclairée par le gaz, qui jette des lueurs blanches sur les murailles neuves, est divisée en 169 petits bureaux. C’est là que le garçon de recette s’installe à sa table, défendu contre les ardeurs indiscrètes du public par un fort treillis de fer qui fait ressembler sa cabane à une cage. Son nom et son numéro, inscrits en gros caractères, servent d’indication à ceux qui le cherchent. Des plantons, des invalides pris pour la circonstance et qui semblent fort ahuris au milieu de ce monde, en présence de ces billets de banque qu’on feuillette d’un doigt rapide, de ces masses d’or qu’on pèse lestement dans des trébuchets, mettent un peu d’ordre dans la foule, ne la laissent entrer que petit à petit. Les zones sont très différentes entre elles. Celle du faubourg Saint-Germain est représentée par des domestiques en livrée, qui viennent payer les billets de leurs maîtres; celle de la rue Notre-Dame de Lorette montre de petites femmes piaillardes, remuantes, jouant des coudes pour avancer; elles tiennent en main 25 ou 30 francs qui doivent acquitter le billet que leur a fait souscrire la marchande à la toilette; celle de la rue Notre-Dame-de-Nazareth est fréquentée par un monde assez sordide, en grande redingote traînante, à longs cheveux gras, ce sont les brocanteurs juifs. Au milieu de tous ces gens qui font queue à chacune des cases et que les garçons de recette se hâtent d’expédier, on rencontre aussi des industriels sans industrie qui viennent tâter le terrain et les poches du voisin. L’endroit n’est pas sain pour eux d’ailleurs, et j’ai vu rôder là certains bourgeois aux pommettes