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je me trouvai avec un autre officier et la moitié de mon escadron séparé du reste de la colonne. Une heure se passe à attendre, à appeler, à chercher; l’inquiétude commençait à nous gagner quand un Arabe dont nous ne distinguions pas les traits dans l’obscurité vint nous dire en mauvais français : « Je sais où est le colonel ; si vous voulez, je vais vous conduire à lui. » Il n’y avait point à hésiter, l’Arabe passa devant, et nous le suivîmes. Depuis Si-el-Hadj-Eddin, nous marchions constamment vers le sud; aussi notre étonnement fut-il grand lorsqu’au bout d’une demi-heure la Grande-Ourse se trouva vis-à-vis de nous. L’idée d’une trahison nous vint en même temps à l’esprit à mon camarade et à moi. Instinctivement, nous nous le sommes dit plus tard, chacun fit glisser son revolver hors des fontes; mais nos craintes n’avaient rien de fondé : le changement dans la direction qui nous avait surpris n’était dû qu’à l’un des nombreux circuits de la rivière, et l’homme qui nous avait paru suspect n’était autre que le jeune et intelligent bachaga des Oulad-Nayls, Si-bel-Kassem-bel-Arch, que le colonel avait envoyé à notre recherche.

Lorsque nous la rejoignîmes, la colonne était arrêtée sur le bord de la petite mare que le guide nous avait annoncée; mais cette mare était vide. Tous les hommes avaient mis pied à terre, et regardaient avec consternation cette masse de boue épaisse sans pouvoir en détourner les yeux, comme s’ils s’attendaient à chaque instant à en voir sortir une source limpide. Le guide nous avait-il trompés, ou ce fossé, encore plein le jour précédent, à ce qu’il assurait, avait-il été épuisé dans l’intervalle? Il était à ce moment onze heures du soir. Les chevaux, qui n’avaient pas bu depuis la veille, et qui sur vingt heures de marche en avaient eu à peine deux pour se reposer, ne semblaient guère pouvoir aller plus loin. A quelle distance étions-nous des r’dirs de Bou-Aroua? les trouverions-nous également à sec? Dans ce cas, comment ferions-nous pour atteindre les puits de Mengoub, situés à plus de dix lieues au nord? Voilà les questions que les hommes commençaient à se poser. A chaque instant, on pouvait s’attendre à voir paraître l’ennemi. Le resserrement des rives lui permettrait de nous fusiller à bout portant, l’escarpement rendrait l’escalade impossible. Cependant te colonel faisait reconnaître Bou-Aroua par quelques cavaliers arabes; on sut bientôt que nous y trouverions encore de l’eau, et que nous n’en étions éloignés que de 10 kilomètres. On remonta donc à cheval, et vers trois heures du matin on faisait enfin halte sur le bord d’un r’edir à moitié rempli d’une eau jaunâtre et fangeuse.

Les premiers rayons du soleil levant vinrent alors éclairer une des scènes les plus pittoresques qui se puissent imaginer : des chevaux attachés à et là aux branches des tamaris, d’autres qu’on