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une partie de l’est de l’Europe. Toute cette histoire est un roman des plus invraisemblables; elle eut un demi-dénoûment en septembre 1832 devant la police correctionnelle, où l’un des inculpés passa sous le surnom de Colette. Antérieurement à cette époque, la même année, tandis que les émeutes politiques et le choléra causaient à Paris une perturbation profonde, un fait très singulier se produisit. Pendant la nuit, on jetait par poignées des billets de banque faux sur le carreau des halles, à la sortie des théâtres, partout enfin où la population se trouvait momentanément agglomérée. Cette mauvaise plaisanterie cessa tout à coup, et malgré les investigations de la police on ne sut jamais quel en était l’auteur.

Ce n’étaient là que des accidens; mais vers 1853 la Banque put croire qu’on allait faire un siège en règle de son crédit. Des billets de 100 francs faux arrivaient dans ses caisses avec une régularité désespérante. On avait beau stimuler le zèle des agens du service de sûreté, inventer des moyens de contrôle et diriger de mystérieuses enquêtes sur toute personne qui prêtait au soupçon, tout demeurait vain. On n’était pas éloigné de croire à une vaste association de malfaiteurs admirablement outillés et aussi hardis qu’habiles. Les billets n’étaient point parfaits, mais ils accusaient une main exercée, et jamais encore on n’en avait vu dont l’imitation fût aussi sérieuse. Tout le monde pouvait y être trompé, à l’exception cependant des employés de la Banque, qui, avec leur habileté ordinaire, avaient promptement découvert un défaut. Près de la tête du Mercure qui sert d’ornement à la console supportant le cartouche où se trouve reproduit l’article 139 du code pénal, apparaissait un point noir, trace visible d’une cheville trop longue oubliée dans la planche. Sans cet indice, il eût été fort malaisé de distinguer les billets vrais et les billets faux. Les années s’écoulaient, les billets étaient présentés avec une persistance inquiétante; la Banque payait, et ne disait mot, car elle craignait, en divulguant ce secret, de voir discréditer toutes les émissions de 100 francs. Enfin en 1861, à la suite de péripéties, de fausses démarches, d’hésitations nombreuses, les recherches, sur l’indication presque prophétique du secrétaire-général, prirent une direction précise, et l’on acquit, après huit années de tentatives infructueuses, la certitude que le coupable était un sieur Giraud de Gâtebourse; le commissaire de police qui fut en partie cause de son arrestation s’appelait Tenaille : deux noms prédestinés. Le métier était bon sans doute, car Giraud menait une vie fort agréable ; il avait onze domestiques, dix chevaux et une meute de chiens de Saintonge. C’était un ancien graveur: sous prétexte d’apporter quelques améliorations à la fabrication des billets, il avait été assez adroit pour s’introduire à la Banque et