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vignette sur chaque face. Les premiers billets de la nouvelle fabrication ont été versés à la caisse le 3 août 1863. Ainsi disposés, et dans l’état actuel de la science, ils défient la contrefaçon, — par la photographie directe à cause de l’impression en bleu, — comme clichés reproducteurs à cause du verso, qui, mêlant la vignette dont il est orné à celle du recto, produit par transparence une confusion de lignes inextricable. Sous ce double rapport, les billets sont donc à l’abri des faussaires, qui, depuis la loi du 28 avril 1832, ne sont plus punis que des travaux forcés à perpétuité.

On pense bien que la Banque s’ingénie à n’être jamais prise au dépourvu et à savoir d’avance par quels moyens on peut l’attaquer. Elle fait étudier dans ses laboratoires particuliers les manœuvres dont on serait tenté d’user contre elle. Un chimiste fort habile décompose, pour ainsi dire, tous les procédés photographiques connus; il opère non-seulement sur les billets de la Banque de France, mais sur tous les emblèmes de monnaie fiduciaire qui peuvent passer entre ses mains. Plus redoutable que les alchimistes du moyen âge, il ne fait pas de l’or et ne recherche pas la poudre de projection; son grand œuvre est autrement important : il fait le billet de banque, le signe même de la richesse et du crédit; mais toute sa science est mise au service du devoir professionnel et du salut commun. Il découvre les moyens que les faussaires pourraient employer, et sait les neutraliser en faisant modifier la fabrication et en y introduisant des élémens nouveaux devant lesquels les plus habiles criminels seront contraints de s’arrêter. On fait bien de se tenir en garde contre les contrefacteurs, car ils ont parfois livré de rudes assauts à la Banque. Par-ci, par-là, il arrive encore un billet de 100 francs fait à la main. Le malheureux qui a commis le crime a dépensé vingt fois plus de temps et de talent qu’il ne lui en aurait fallu pour gagner la même somme. Ces cas-là sont très rares, et n’inquiètent guère la Banque, qui garde le faux billet comme un spécimen curieux à ajouter à sa collection. Deux fois elle a été attaquée vertement. En 1832, un paquet de douze faux billets de 1,000 fr. fut présenté au bureau du change; ils furent reconnus, une instruction fut commencée, et à la suite d’une enquête secrète activement menée, on acquit une conviction si étrange qu’il fut difficile de pousser les choses à l’extrême. Les billets étaient faits hors de France, par un homme attaché à la maison d’un souverain expulsé de son pays; un ancien directeur de la fabrication d’un des hôtels des monnaies du royaume le secondait dans cette œuvre peu légitime. Le principal agent pour l’émission des billets à Paris était un marquis, maréchal-de-camp, et le détenteur n’était autre qu’un prince, descendant direct d’une famille qui avait régné jadis sur