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sais dès lors que le billet appartient à l’alphabet 32, et dans cet alphabet à la lettre T; à droite en haut et à gauche en bas, je vois le chiffre 369, le billet est donc le trois cent soixante-neuvième de la série T, 32; enfin, au centre du billet, sur un étroit espace laissé libre par l’impression interne des filigranes, j’aperçois le chiffre 0,793,369, qui m’apprend que depuis la première émission des billets de 1,000 francs on en a tiré 793,368 avant celui que j’ai sous les yeux. Tout billet porte donc avec lui un passeport muni d’un signalement où l’on n’a pas oublié les signes particuliers. La lettre de série est le nom de famille, le numéro d’ordre est le nom de baptême, le numéro de coupure donne le rang du billet dans l’espèce générique à laquelle il appartient. Si l’on se trouvait en présence de deux billets identiques l’un à l’autre, il y en aurait donc forcément un qui serait faux, puisque deux billets ne peuvent pas être absolument semblables : ils sont tous jumeaux, d’accord; mais chacun au jour de sa naissance est marqué d’un trait distinctif qui empêche qu’il soit jamais confondu avec ses frères. Ces combinaisons, malgré une extrême simplicité, opposent de très sérieux obstacles aux tentatives des faussaires.

Pour des objets d’une telle valeur, rien n’est à négliger; aussi la fabrication du papier, la gravure de la planche, le tirage, l’impression, sont-ils l’objet de précautions minutieuses. Le papier sur lequel on imprime les billets sort de la fabrique du Marais, près de Coulommiers; il est obtenu par des procédés particuliers, que je n’ai point à révéler ici, dans un local exclusivement réservé au service de la Banque, sous la direction d’un commissaire nommé par le gouverneur, et qui toute l’année habite le bâtiment d’exploitation. Le papier est fabriqué sur des formes, sur des tamis, comme on disait jadis, à la main et feuille par feuille. Chacune de ces feuilles représente un billet, et contient à l’intérieur un filigrane visible par transparence et qui varie selon la coupure du billet. Les feuilles sont étudiées une à une au triple point de vue de la solidité, de la dimension, de la pureté. Toutes celles qui laissent apercevoir une imperfection sont dites cassées et réservées au pilon ; la proportion des rejets est en moyenne de 60 pour 100. Le papier reconnu bon est divisé en rames de 500 feuilles qui sont ficelées séparément, renfermées dans une caisse de fer dont une double clé est à la Banque, scellées du cachet du commissaire et expédiées à Paris à l’hôtel de la rue de La Vrillière. Le conseil de régence charge le comité spécial des billets de recevoir le papier, qui est examiné de nouveau scrupuleusement, et, après procès-verbal, remis au secrétaire-général et au contrôleur, puis enfermé dans une caisse manœuvrant à deux clés qui restent entre les mains des dépositaires.