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II.

Il fallait une singulière hardiesse pour jeter des billets de banque dans la circulation aux dernières heures du XVIIIe siècle, lorsqu’on était encore sous le coup de la ruine causée par les assignats. Tout ce qui avait l’air de papier-monnaie semblait frappé à l’avance de discrédit. La république avait sous ce rapport dépassé les folies de Law et de la rue Quincampoix. Très sérieuse dans le principe et appuyée sur des biens nationaux d’une valeur de 10 milliards, l’opération avait sa justification et son fondement, car le papier émis n’était que la représentation mobile de la richesse immobilière possédée par la nation même; mais on ne sut pas s’arrêter en chemin. Il était si facile de pourvoir à toutes les nécessités en faisant imprimer des morceaux de papier auxquels des lois léonines donnaient un cours forcé, qu’on ne put résister à la tentation. L’état prêchait d’exemple, les individus le suivirent, et chacun se fit pour son propre compte fabricant d’assignats. Voici ce que raconte Mercier dans son Nouveau Tableau de Paris. « Le dogme de la souveraineté nationale fut confirmé d’une manière assez plaisante, car il fut un temps où chaque particulier se croyait en droit de battre monnaie. La disparition du numéraire avait donné cours à une foule de billets de petite valeur émis par d’obscures maisons de commerce. Les épiciers, les limonadiers, écrivaient leur nom sur de petits morceaux de parchemin, et voilà du numéraire. Le délire fut poussé jusqu’au dernier excès; chacun fit son écu. » Les conséquences ne tardèrent point à se faire sentir. La valeur réelle des assignats n’était plus en rapport avec la valeur nominative. La loi du maximum réussit à peine à les soutenir; après le 9 thermidor, la chute dépassa toute prévision : un sucre d’orge de 1 son coûtait 30 fr. en assignats. Depuis longtemps, les 10 milliards représentant les biens confisqués au clergé avaient été épuisés par des émissions ininterrompues. Dans certaines villes, une pièce de 6 liards valait 300 fr. en assignats. Lorsque le directoire, ne sachant plus de quel bois faire flèche, lança tout à coup 20 milliards de nouveaux assignats, il ne parvint même pas à leur faire produire 100 millions en numéraire. Ce fut le dernier coup, et le 30 pluviôse an IV (19 février 1796) on renonça définitivement à un si déplorable système. Pour employer une expression que le langage populaire a consacrée, on brisa la planche aux assignats. Depuis le décret du 19 avril 1790, qui avait autorisé la première émission, les différens gouvernemens qui s’étaient succédé en France avaient répandu pour 45 milliards 566 millions de francs en papier-monnaie. Entre les mains des ennemis de la convention, les faux as-