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qui venaient échanger leurs billets contre des espèces. Dans le commerce, le billet de 1,000 francs perdait 20 francs; Joseph, qui, sous le titre de grand-connétable, présidait le conseil des ministres en l’absence de son frère, était fort troublé, et parlait de faire venir des troupes pour déblayer les issues de la Banque obstruées dès le milieu de la nuit. La Banque, voyant son encaisse métallique diminuer à vue d’œil, criait au secours et s’adressait au tribunal de commerce pour qu’il forçât le public à accepter les billets en guise d’argent. En cette circonstance, Napoléon fut très net. Le 20 octobre 1805, il écrivit d’Elchingen à Régnier : « Il faut que la Banque échange ses billets contre de l’argent à bureau ouvert, ou qu’elle ferme ses bureaux, si elle manque d’argent. Quant à moi, je ne veux pas de papier-monnaie. »

Le souvenir de ces désordres passagers a-t-il eu quelque influence sur les résolutions de Napoléon? n’a-t-il pu supporter qu’un établissement qui servait de régulateur au crédit public eût la faculté de se mouvoir en dehors de l’action immédiate de l’état? On ne sait, mais dès le 22 avril 1806 la constitution de la Banque de France est modifiée d’une façon définitive, et devient un type de gouvernement monarchique constitutionnel. Par la nouvelle loi, le privilège est prorogé de vingt-cinq ans au-delà du terme fixé d’abord, le capital est porté à 90 millions; c’est toujours l’assemblée des actionnaires qui élit les censeurs et les régens; mais la présidence échappe à ces derniers. La direction des affaires, que la Banque, en vertu de la loi de germinal, déléguait à son comité central, est désormais exercée par un gouverneur et deux sous-gouverneurs qui sont nommés par l’empereur et prêtent serment entre ses mains. Cette loi, que rien jusqu’à présent n’a modifiée dans ses parties organiques, a été libellée par Mollien, un des esprits les plus fermes et les plus sagaces de son temps. Il est étrange que Napoléon, dont l’horreur pour le système parlementaire s’était si souvent manifestée, ait établi précisément à la Banque le modèle presque parfait de ce genre de gouvernement.

Le gouverneur préside les conseils, approuve ou rejette les dispositions adoptées, nomme, révoque, destitue les agens, signe seul, comme un souverain, tous les traités intervenans, fait exécuter les lois et statuts qui régissent la Banque. Il a droit de veto, il peut empêcher l’accomplissement d’une mesure délibérée par le conseil, mais il ne peut contraindre ce dernier à adopter une résolution quelconque, et il doit lui rendre compte de toutes les affaires. Ces deux puissances, l’une législative, l’autre exécutive, se côtoient sans se heurter, tant leurs attributions diverses ont été sagement réglées. En cas de conflit, force resterait toujours au conseil des