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d’une amélioration véritable de leur sort, précipitant ainsi en Orient la crise qu’ils ont à cœur d’éviter; dès lors, sans renoncer à la mission généreuse que leur conscience leur impose, il ne leur reste plus qu’à dégager leur responsabilité en abandonnant la Porte aux conséquences possibles de ses actes. — Dans la voie qu’il a choisie et dans laquelle il persévère, le gouvernement ottoman ne pouvait certainement pas compter sur une assistance matérielle de la part des puissances chrétiennes; mais les cabinets, après avoir, vainement tenté de l’éclairer, croient de leur devoir de lui déclarer que désormais il réclamerait en vain leur appui moral au milieu des embarras qu’aurait préparés à la Turquie son peu de déférence pour leurs conseils[1]. »


Quand on compare cette déclaration du 29 octobre 1867 aux documens récemment émanés de la conférence de Paris dans le conflit qui s’est élevé entre la Turquie et la Grèce, on est effrayé de l’instabilité des sentimens et des résolutions de la diplomatie européenne, car enfin que reprochait à la Turquie la déclaration du 29 octobre 1867? De n’avoir rien fait pour remédier « aux abus qui ont provoqué le soulèvement des Candiotes, agité l’Orient chrétien et fixé la sollicitude des grandes puissances européennes. » De quoi cette déclaration menaçait-elle la Turquie? « De l’abandonner aux conséquences possibles de ses actes, de lui refuser leur appui, qu’elle invoquerait en vain au milieu des embarras qu’elle se serait préparés à elle-même par sa résistance obstinée aux exhortations amicales de l’Occident. » Un an à peine s’est écoulé, tout est changé; la Turquie a repris faveur auprès de l’Europe, la Grèce et les populations chrétiennes sont en disgrâce. En 1867, c’était la Turquie qui était au ban de l’Europe; en 1869, c’est la Grèce et les populations chrétiennes. En 1867, la France demandait énergiquement à la Turquie de remédier aux abus qui avaient provoqué le soulèvement des Candiotes; elle excusait donc tout au moins, si elle n’approuvait pas, l’insurrection de la Crète. En 1869, il n’y a plus dans les documens émanés de la conférence de Paris un seul mot d’excuse pour l’insurrection crétoise, un seul mot d’encouragement ou de justice qui puisse faire espérer aux Candiotes un meilleur sort. La déclaration de 1867 respire l’esprit de 1856 et semble vouloir le pratiquer efficacement; les actes et les documens de la conférence de Paris en 1869 semblent s’écarter à dessein de cet esprit comme d’un embarras ou d’un écueil. Le mal en 1867 était dans la résistance obstinée de la Porte à l’esprit de 1856; il est en 1869 dans les sympathies nationales de la Grèce et dans les aspirations imprudentes des populations chrétiennes de l’Orient.

  1. Archives diplomatiques, no 11 et 12, 1867, p. 1580-1581.