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bénir leur gouvernement, qui a tout prévu et tout dirigé admirablement; non, ils prennent bravement leur parti de reconnaître la vérité qui leur est défavorable; ils la cherchent même au lieu de se la cacher. Ainsi en 1854 je vois dans le Times un article du 7 juin qui demande comment il se fait que la France et l’Angleterre, qui ont fondé le royaume hellénique, n’aient pas dans ce petit état l’influence qu’y a la Russie, la troisième fondatrice de la Grèce. A qui et à quoi s’en prendre? A l’ingratitude de la Grèce? Pourquoi n’est-elle pas également ingrate envers la Russie? Faut-il attribuer la supériorité de l’influence russe à l’habileté de la diplomatie russe? Pourquoi la France et l’Angleterre ne se donnent-elles pas la peine de choisir aussi d’habiles diplomates? La Grèce est-elle un si petit état qu’il n’y ait pas lieu de s’inquiéter de son opinion? « Grave erreur! dit le Times ; l’importance du royaume de Grèce réside dans la puissance morale dont il est le siège, étant le centre national d’un peuple dispersé, mais uni cependant dans ses aspirations politiques et dans sa foi religieuse. N’est-ce donc pas un grand reproche à faire à la diplomatie de la France et de l’Angleterre qu’après une expérience de vingt ans nous soyons forcés de reconnaître que cette puissance intellectuelle et morale est dans les mains de la Russie? Tout devrait rattacher la Grèce à la civilisation de l’Europe occidentale plutôt qu’à la Russie. » D’où vient donc qu’il en est autrement? demande hardiment le Times, et il répond aussi hardiment : « Cela tient à ce que l’Angleterre et la France ne sont pas assez préoccupées de la condition des populations chrétiennes de l’Orient. Elles nous ont crus leurs ennemis, voyant que nous étions tout au moins indifférens aux misères de leur servitude. De là leurs tentatives de révolte contre la Turquie et leur penchant vers la Russie. Nous accusons la Grèce d’exciter ces révoltes. Comme l’écrivait le 3 mars 1854 lord Clarendon à lord Stratford de Redcliffe, il est inutile de demander au gouvernement grec de ne pas pousser à l’insurrection des provinces turques, si cette insurrection est causée par la corruption et la négligence des autorités turques. »

« Pendant tout le cours de cette guerre, quelque forme qu’elle puisse prendre, nous avons, conclut le Times de 1854, deux devoirs et deux intérêts manifestes, mais non pas opposés, à suivre : d’abord empêcher que ces élémens de désaffection des sujets de la Porte ne soient convertis en une machine de guerre à la discrétion de la Russie, ensuite obtenir de la Porte, en retour de notre appui, satisfaction complète pour les droits de ses sujets chrétiens. Il n’est que trop commun en Turquie de voir les promesses faites par le gouvernement dans les jours difficiles révoquées aussi aisément qu’elles ont été faites ou éludées par les autorités locales. La po-