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de n’être pas frappé de la ressemblance générale des temps et de la différence des actes entre l’Europe de 1854-1856 et celle de 1869. Voyons d’abord cette ressemblance générale des temps, et, pour la mieux constater et la mieux comprendre, prenons, comme nous l’avons fait pour 1854, des témoignages anglais, c’est-à-dire émanés de la puissance qui semble le moins bien disposée en faveur de la Grèce et des chrétiens d’Orient.

Après la décision prise par la conférence de Paris en 1869 en faveur de la Turquie, voici ce que disait le journal anglais le Globe le 18 janvier 1869. « La Turquie va avoir devant elle un certain répit. Le sultan fera bien d’en profiter pour réformer les abus de son administration, qui fournissent un prétexte à la révolte. C’est un fait notoire que l’obstination des fonctionnaires turcs entrave toutes les réformes dont la Turquie a tant besoin. Si la Porte désire établir son autorité sur une base assez ferme pour qu’il lui soit possible de repousser toute agression ou toute invasion et de se débarrasser des révolutionnaires, il faut qu’elle redresse les griefs irritans qui provoquent ses sujets à la désobéissance, il faut qu’elle les rende sourds aux instigations des ennemis de la paix et de l’existence même de l’empire ottoman, il faut qu’elle les attache par un dévoûment intelligent et éclairé à l’autorité dynastique du sultan. »

Quelle ressemblance entre ce langage et celui de lord Clarendon à lord Redcliffe en 1853! En 1869 comme en 1853, l’existence de l’empire ottoman dépend de l’amélioration de la condition des chrétiens en Orient. Si la Turquie ne parvient pas à faire exécuter les réformes qu’elle promet, si elle ne réussit pas à changer ses paroles en actes, elle ne pourra pas assurer son existence en Orient. Elle sera la malade chronique et toujours plaignante que l’Occident aura toujours à soigner et qu’il ne pourra jamais guérir. Voilà la vérité de 1853 et la vérité de 1869.

De cette double vérité découlent naturellement deux réflexions, la première sur l’état de l’opinion en Angleterre à propos des affaires d’Orient. En 1853, la faveur que lord Clarendon témoignait aux populations chrétiennes de l’Orient était une nouveauté, et cette nouveauté pouvait être attribuée aux complications politiques de la guerre de Crimée, qui se préparait. On favorisait l’Orient chrétien pour le détacher de la Russie. Ce qui était peut-être un expédient politique en 1853 est devenu peu à peu une opinion et un système soutenu par une partie de l’Angleterre, et que le dernier ministre des affaires étrangères, lord Stanley, n’a pas craint de proclamer hautement. Le salut de la Turquie ne peut plus dépendre que de ses œuvres, et non plus des secours de l’Occident. Si la