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obtenir d’elle en retour des garanties pour nos frères d’Orient, ce serait comme un abandon des traditions religieuses de l’Europe, et je comprends, dit le ministre des affaires étrangères, M. Drouyn de Lhuys, que les consciences délicates s’en soient émues. »

Le gouvernement anglais n’était pas moins ardent à ce moment que la France et la Prusse pour soutenir à la fois les Turcs contre la Russie et les chrétiens contre les Turcs. Nous trouvons, dans le livre bleu publié dans les premiers mois de 1854 par le gouvernement anglais, une dépêche de lord Clarendon à lord Stratford Canning, en date du 22 juin 1853, dont nous voulons citer quelques passages. Lord Clarendon recommande à lord Stratford de représenter à la Porte que l’opinion arrêtée du gouvernement anglais « est que la Turquie ne peut avoir de garantie de son existence, comme état indépendant, qu’en se conciliant l’attachement de ses sujets chrétiens et en les intéressant à sa conservation; — que quand même la Turquie surmonterait les difficultés de la crise actuelle avec l’aide de ses alliés, elle ne peut pas compter sur l’assistance étrangère comme sur une ressource permanente, mais qu’elle doit se créer une défense plus sûre dans l’affection de la partie la plus intelligente, la plus active et la plus entreprenante de ses sujets; — qu’il est impossible de supposer que la moindre sympathie puisse être ressentie par les chrétiens pour le pouvoir qui les gouverne tant que les chrétiens dans leurs affaires de chaque jour feront l’épreuve de l’infériorité de leur condition comparée à la condition de leurs co-sujets musulmans, tant qu’ils seront convaincus que c’est en vain qu’ils demandent justice pour les torts qui leur sont faits, soit dans leurs personnes, soit dans leurs propriétés, et cela parce qu’ils sont regardés comme une race dégradée, indigne d’être mise sur le même pied que les sectateurs de Mahomet. » La dépêche finit par ces paroles significatives. « Votre excellence est autorisée à représenter fortement à la Porte que cet état de choses ne peut pas être supporté plus longtemps par les puissances chrétiennes; la Porte doit décider ce qu’elle aime le mieux : maintenir ses principes erronés ou perdre la sympathie et l’assistance de ses alliés. Vous ferez remarquer à la Porte l’immense importance du choix qu’elle a à faire, et le gouvernement de sa majesté est persuadé qu’un peu de réflexion convaincra les ministres turcs que la Porte ne peut plus compter sur ses sujets musulmans comme sur sa seule sauvegarde contre les dangers extérieurs, et que sans l’appui affectionné de ses sujets chrétiens et sans la puissante sympathie et les secours de ses alliés chrétiens, l’empire turc cesserait bientôt d’exister. »

Il est impossible, quand on lit de pareils documens écrits il y a quinze ans et quand on considère l’état actuel des choses en Orient,