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politique qui n’est ni aussi généreuse que les Grecs l’ont cru pendant longtemps, ni aussi résolument ambitieuse que le supposent les publicistes de l’Occident.

L’insurrection grecque n’a pas été un mouvement littéraire, accueilli par les poètes et les lettrés de l’Occident, comme on se plaît à le dire aujourd’hui. Il y avait là une nationalité et une foi qui avaient persévéré sous le joug du mahométisme. Le peuple et l’église s’étaient redressés de concert. Cette renaissance a donc été plus qu’une nouvelle édition de Marathon et de Salamine; ç’a été un événement politique plein d’avenir. Aussitôt qu’il y avait quelque part en Orient un peuple chrétien insurgé, ce jour-là un héritier de la Turquie était né, héritier partiel ou intégral, héritier encore au berceau et au maillot, et dont c’était peut-être l’intérêt bien entendu de ne pas presser l’ouverture de la succession avant d’être capable de la recueillir. De cet Orient chrétien insurgé, l’Europe fit un Orient indépendant, et elle eut raison, car qu’en faire autre chose? Le rendre à la Turquie, qui ne l’avait pas pu soumettre? C’était un crime de lèse-nation et de lèse-christianisme. Ces choses-là ne se faisaient pas aisément autrefois. L’opinion publique n’était pas blasée et indifférente sur les effronteries de la politique. Pouvait-on donner la Grèce à quelque puissance européenne et en faire une province autrichienne ou française, anglaise ou russe? Deux difficultés : la Grèce ne s’était pas insurgée pour être donnée à personne autre qu’elle-même; puis, personne ne voulait donner la Grèce à personne. Une fois libre de la Turquie, l’Orient chrétien, si petit qu’il fût, ne pouvait appartenir qu’à lui-même. Le petit état hellénique fut donc fondé, non par une fantaisie poétique des chancelleries européennes[1], mais par une grande nécessité politique, celle de n’ouvrir la succession de la Turquie au profit d’aucune puissance européenne.

On voit que le petit état de la Grèce avait et a encore sa raison d’être politique, et nous défions toutes les mauvaises humeurs de la diplomatie européenne de détruire ce qu’elle n’a pas pu se dispenser de créer.

Il y a sous ce petit état de la Grèce un grand principe qui est, je ne dis pas agréable aux états européens, mais qui leur est néces-

  1. « Les puissances de l’Occident croyaient en 1831 qu’il était utile de donner aux races chrétiennes de l’Orient une preuve positive de l’intérêt que prenaient les nations les plus civilisées à la régénération de la Grèce. L’enthousiasme populaire que cette cause inspirait s’appuyait sur la conviction raisonnée des hommes d’état, qui étaient d’autant mieux disposés à suivre cette politique qu’ils sentaient bien qu’autrement la Russie se serait seule chargée de la protection des Grecs. » Article du Times cité dans le Journal des Débats du 24 février 1854.