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bien assez pour le moment de ses propres affaires. Voilà quinze jours déjà que les certes constituantes sont réunies à Madrid : on ne peut pas dire précisément que l’assemblée espagnole n’ait rien fait encore ; elle a vérifié les pouvoirs de ses membres, elle a entendu les discours, les confessions successives des chefs du gouvernement provisoire ; elle a vu se livrer quelques escarmouches qui n’ont pas manqué de vivacité, notamment un petit débat des plus animés entre le ministre de l’intérieur et les orateurs républicains. Somme toute cependant, la besogne n’a guère avancé, et l’Espagne n’est pas mieux instruite de ce qu’elle doit devenir. Le seul résultat bien clair de ces quinze jours de session, c’est que la chambre s’est définitivement constituée avec M. Rivero pour président, et qu’après bien des tâtonnemens, bien des luttes intimes, on a fini, de guerre lasse, par charger le général Serrano de former un gouvernement. Le général Serrano s’est hâté d’user des pouvoirs qui venaient de lui être accordés pour confirmer le ministère qui existait, de sorte que par le fait rien n’est changé. Quelle signification politique a ce dénoûment ? Il n’en a aucune ; il prouve qu’on aurait pu difficilement s’entendre pour faire autre chose, pour concilier des ambitions rivales, et que faute de mieux le provisoire va continuer. Combien de temps ce provisoire continuera-t-il ? Il durera sans doute jusqu’à ce qu’une secousse violente vienne contraindre les chefs de la révolution à prendre un parti. L’Espagne n’est malheureusement encore qu’au début des crises à travers lesquelles elle retrouvera son assiette dans des institutions régulières et libres.

Ch. de Mazade.


ESSAIS ET NOTICES.

AMOURS ET HAINES, poésies par M. ÉDOUARD PAILLERON,
vol. in-18, Michel Lévy, 1869.


Vous vous souvenez bien, et qui donc pourrait l’oublier ? de cette cavalière et spirituelle boutade d’Alfred de Musset faisant sa déclaration d’amour à la poésie et aux vers, « cette langue immortelle, » que le monde entend sans la parler et qui a cela pour elle

Que les sots d’aucun temps n’en ont pu faire cas.

La poésie en effet, c’est la forme exquise et privilégiée de l’imagination. C’est la langue du sentiment, de la passion, des visions sublimes ou gracieuses, de tout ce qu’il y a de plus intime, de plus inavoué dans l’âme humaine, de tout ce qui se refroidirait et se décolorerait dans la prose, et le temps où la poésie disparaîtrait, où elle cesserait de trouver de l’écho, ce temps-là serait bien malheureux ; il aurait perdu un de ses organes, sa faculté la plus brillante. Ou dit bien quelquefois sans doute que la poésie s’en va, que le grand Pan est mort ; la poésie peut avoir des éclipses, elle ne meurt pas si vite ni si aisément, même au milieu