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REVUE. — CHRONIQUE.

cussions offrent un spectacle curieux, presque dramatique. Comment caractériser ce qui se passe depuis quelques jours dans le corps législatif ? C’est sans contredit une victoire des chambres, une victoire de la raison publique, de l’esprit de contrôle, du sentiment de la légalité ; c’est, pour tout dire, une exécution parfaitement nette, parfaitement impitoyable, de M. le préfet de la Seine. Cette exécution, M. Thiers l’a commencée dans un de ces discours sensés, pratiques, transparens, qui dévoilent tous les aspects des questions les plus obscures ; M. Picard l’a continuée avec une hardiesse incisive ; des membres de la majorité l’ont poursuivie avec une modération et une compétence qui ne laissaient pas de la rendre plus cruelle ; elle a été achevée enfin par le gouvernement lui-même, par M. Rouher, arrivant le dernier pour changer la face de la lutte, et c’est justement ce qui fait l’intérêt de ce débat singulier, instructif, où pour la première fois peut-être l’opposition et le gouvernement ont paru se rencontrer dans le sentiment d’une nécessité politique. Ce qui peut arriver après cela de M. le préfet de la Seine, nous ne le savons trop ; il est homme à se retourner, à se porter encore fort bien après avoir été exécuté ; on peut tout attendre d’un administrateur qui, au moment même où ses actes étaient soumis au corps législatif, trouvait en lui-même la suffisance de signer un de ces traités qui sont précisément l’objet des plus sévères censures. Ce qui reste de l’administration de M. Haussmann, c’est un monceau d’irrégularités depuis longtemps signalées par la presse, dénoncées à la tribune législative, avouées désormais par le gouvernement, mal justifiées par la transformation de Paris.

Cette transformation de Paris, nous ne la nions pas. Elle a été célébrée par le ministre de l’intérieur, M. de Forcade La Roquette ; elle a été approuvée par M. Thiers lui-même, avec ce correctif toutefois qu’on a fait toutes les choses inutiles et qu’on n’a pas fait toutes celles qui auraient été le plus immédiatement utiles. Cette transformation n’est donc pas en question, au moins pour ce qu’il y avait de nécessaire. Était-ce cependant une raison pour qu’elle fût accomplie, précipitée, en surmenant les finances de la ville de Paris, en passant par-dessus toutes les lois, toutes les règles tutélaires de l’administration municipale ? M. de Forcade La Roquette est un homme distingué, entendant les affaires et les exposant avec clarté ; il ne croit pas sans doute que la cour des comptes, pour expliquer les opérations de la ville de Paris, puisse se contenter de l’anecdote de ce général prussien, M. de Moltke probablement, qui à l’aspect des beautés de Paris disait aux officiers de son état-major : « Nous avons montré que nous étions une grande puissance, nous apprenons ici ce que c’est qu’une grande nation. » M. le ministre de l’intérieur pense-t-il que M. Lagrange le républicain et M, Nadaud, le maçon représentant du peuple en 1848, soient de fortes autorités politiques et économiques ? M. de Forcade peut-il se persuader à lui-même