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et les discussions qu’il soutient depuis quelques jours dans les chambres prussiennes, les discours irrités ou habiles qu’il a prononcés, les mesures rigoureuses auxquelles il a eu recours contre le roi de Hanovre, contre l’électeur de Hesse, montrent assez qu’il ne croit pas lui-même être arrivé au bout de toutes les difficultés, et c’est là effectivement ce qui est caractéristique. La domination prussienne a pu s’établir, elle ne s’est pas popularisée. Dans les provinces annexées, il y a une résistance sourde qui, sans se traduire en faits crians, ne persiste pas moins. Francfort a soutenu pour ses intérêts municipaux, pour ses propriétés, une longue lutte qui s’achève à peine, si tant est qu’un don de 3 millions doive trancher le différend, et la vieille ville libre n’est pas à coup sûr parfaitement réconciliée avec sa nouvelle destinée. En définitive, dans ces parties de l’Allemagne devenues si récemment prussiennes, il y a toujours un vague malaise, une opposition qui ne va pas jusqu’à l’hostilité déclarée, mais qui se maintient, et le gouvernement de Berlin, dans tout l’orgueil de sa force, sent bien que sa conquête n’est pas achevée, qu’une crise nouvelle pourrait peut-être la remettre en péril. Il recueille ce qu’il a semé par une politique d’assimilation qui n’a rien en effet des procédés de la « race latine, » de sorte que, malgré toutes les garanties de succès, la fusion n’est rien moins que complète en Prusse. — C’est là surtout que le puissant ministre de Berlin a manqué de l’initiative féconde, de la prévoyance libérale d’un Cavour, de même que dans son œuvre diplomatique, dans les relations à fonder, il a manqué d’une intelligence supérieure des intérêts avec lesquels il avait à traiter.

M. de Bismarck a voulu, sinon détruire l’Autriche, du moins l’effacer pour longtemps, l’exclure de l’Allemagne, afin d’assurer à la Prusse une prépondérance absolue. Il a réussi pour un moment en apparence. Seulement il n’a pas vu que cette puissance qu’il humiliait sans l’abattre complètement, à laquelle il laissait le ressentiment de sa défaite, elle pourrait se relever, se refaire, réparer ses forces, et c’est ce qui est arrivé en effet. C’est le travail auquel s’est consacré M. de Beust avec une sagacité singulière, avec une patiente et habile dextérité. Dès son avènement au pouvoir, selon le mot d’une brochure curieuse qui a paru récemment à Vienne sous le voile de l’anonyme, « il reconnut qu’il fallait réorganiser la monarchie, que par là seulement on arriverait à lui rendre vis-à-vis de l’étranger le prestige perdu, et que son influence au dehors dépendrait du succès que l’on obtiendrait à l’intérieur. » Et par le fait, sans être arrivé au bout de son œuvre, M. de Beust a tout au moins réussi en partie par la complète et sincère réconciliation de la Hongrie ; il est parvenu à refaire à l’Autriche une aisance nouvelle, un crédit nouveau. Ce n’est pas que l’Autriche soit disposée à user de ce retour de fortune pour se jeter aventureusement dans tous les conflits : par goût, par expérience, elle se défie des aventures ; mais enfin elle a des souvenirs, des ressentimens, des intérêts, qui ne l’appellent pas dans le camp prussien, et